Le retour de la flâneuse (par Caroline Dault)

L’intérêt de Caroline (nouvelle membre de BILD/LIDA) pour la sociolinguistique est né lors d’une année passée comme assistante de langue en Angleterre où elle était, après une vingtaine d’années passées en contexte monolingue, non seulement immergée dans une nouvelle langue, mais également confrontée à la perception d’autres francophones de sa propre langue. De retour au Québec, devenue enseignante de français langue seconde, elle a obtenu sa maitrise en linguistique appliquée à l’Université Concordia. Questionnant la vision unilingue qui prévaut encore dans certains milieux d’enseignement où l’on exige que les apprenants laissent leur langue maternelle à la porte de la classe, elle a exploré l’utilisation d’une approche de comparaisons interlangagières en enseignement du français langue seconde auprès d’adultes immigrants.

Désormais faculty lecturer au Centre d’enseignement du français de l’université McGill, elle souhaite aborder l’approche interlangagière d’un point de vue social, par exemple en examinant le lien entre cette approche, la validation de l’identité linguistique des apprenants et leur intégration dans leur société d’accueil.

Après avoir passé près de quatre ans dans les bucoliques contrées estriennes, j’ai décidé il y a quelques mois de tout remballer pour rentrer dans une ville que j’avais considérée la mienne pendant la première moitié de ma vingtaine : Montréal la grande.

Alors que le processus de déménagement se mettait en branle, je renouais avec un champ lexical (ou devrait-on dire un parc lexical? Un boulevard lexical? Parce qu’il n’y en a pas, des champs, à Montréal…) qui ne m’appartenait plus depuis mon départ : arrondissement, ruelle, transport actif, fruiterie et autres vocables référant au quotidien des habitants de la métropole.

Son terrain de jeu n’est plus le même, mais son plaisir reste inchangé

Quelques semaines après avoir posé mes boites en sol montréalais, je constatais déjà que je n’avais plus d’usage pour la panoplie de noms, de verbes, d’adjectifs qui me permettaient, dans les Cantons, de décrire le coucher du soleil (vu de ma fenêtre, ses couleurs tantôt vives tantôt pastel étaient chatoyantes, son éclat mordoré embrasait mon salon, le temps d’un crépuscule) ou de définir la limite de jeux libres de ma fille (la haie de cèdres a fait place à une clôture et le pin centenaire, à un immense pot de fleurs).

Les changements qui s’opéraient n’étaient pas uniquement de nature lexicale, mais aussi morphosyntaxique (je me remettais à parler d’autobus au féminin) et grammaticale : si, à Magog, j’habitais au coin de « la » Des pins, jamais je n’oserais faire précéder un nom de rue montréalais d’un déterminant défini. La structure syntaxique du groupe nominal serait-elle différente selon l’endroit où l’on habite?

« la » Mistral ?

En redéménageant dans la grande ville, je savais déjà que je renouerais de manière plus permanente avec une facette de ma personnalité que je récupérais chaque fois que je traversais le pont Champlain depuis 2014. L’intello, l’urbaine… Toutefois, je ne m’attendais pas à me redécouvrir des traits linguistiques que je n’avais même pas conscience d’avoir égarés.

En ma qualité de prof de français langue seconde, j’enseigne à mes étudiants à reconnaitre les variétés de langue et à les utiliser de manière appropriée en fonction de leur interlocuteur, du contexte de communication et du thème du discours. Je constatais qu’à l’intérieur d’un même registre de langue, dans des situations similaires de la vie courante, je trouverais des variations linguistiques d’un bout à l’autre de la 10 si fortes que j’avais l’impression qu’elles appartenaient à deux identités différentes que je portais en moi.

En quittant Montréal, je n’avais remarqué que les changements phonétiques prévisibles auxquels on peut s’attendre pour peu qu’on parcoure une dizaine de kilomètres. Si chaque langue que l’on parle peut être associée à une identité que l’on porte en nous, peut-on également associer une part de notre identité à une variante linguistique, si subtile soit-elle?

Panneau de l’autoroute 15 Nord[1]
Ainsi, me baladant dans les rues d’une ville que je croyais avoir cessé de considérer mienne, je me surprenais à fredonner : « Dans la vitrine du vieux barbier, j’ai vu ma face qui me souriait. C’est le premier miroir depuis des années qui me reconnait[2]. »

 

 

 

[1] Par MPD01605 (https://www.flickr.com/photos/mpd01605/3648744779/) [CC BY-SA 2.0  (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0)], via Wikimedia Commons

[2] Extrait de la chanson Le retour du flâneur, de Beau Dommage (1994)

 

 

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