Langues et enseignement en République démocratique du Congo (RDC) (by Dr Venus Darius)

Our guest blogger this week is a former professor at l’Université libre de Kinshasa (ULK) and currently professeur associé à l’Institut des Sciences des Technologies et des Études avancées d’Haïti (ISTEAH). His connection with BILD goes back to his days as a doctoral student at Université Laval, when he wrote a translanguaged post for us in Kreyòl and French.

Contexte géopolitique de la RDC

La République démocratique du Congo (RDC) est un exemple parfait des pays multilingues du continent africain, voire du monde. Toutefois, la cohabitation des langues et des dialectes sur ce vaste territoire n’est pas de tout repos et leur position dans la hiérarchie sociolinguistique nationale ne fait pas l’unanimité. La RDC (appelée également Congo-Kinshasa pour la différencier de l’autre pays voisin, Congo-Brazzaville) fait partie des pays du continent où la langue ne représente pas le dénominateur commun entre tous les habitants. Il n’y a aucun dialecte ni aucune langue qu’on puisse utiliser pour transmettre un message à la nation entière sans la traduction d’un tiers. Bien que la RDC soit, derrière la France, le deuxième plus grand pays francophone du monde avec plus de 42 500 000 personnes sachant lire et écrire le français (Observatoire de la langue française, 2020), plus de la moitié des Congolaises et Congolais ne parlent pas cette langue officielle (le français), considérant que la population actuelle de ce grand pays de l’Afrique des Grands Lacs s’estime à plus de 90 millions d’habitants (Institut national de Statistique, 2019). On peut déjà se faire une idée des difficultés auxquelles font face les autorités nationales en ce qui concerne le processus qui tend à assurer l’accès à tous à une éducation de qualité – l’éducation étant le fer de lance des Objectifs de développement durable (ODD).

La répartition des langues dans le pays

Selon la constitution du 18 février 2006, amendée par la loi du 20 janvier 2011, le français jouit du statut de la seule langue officielle de la République démocratique du Congo. Par ailleurs, il y a quatre langues reconnues comme étant nationales par l’État congolais qui doit en faire la promotion de façon non discriminatoire. Il s’agit du lingala, du swahili (appelé aussi kiswahili), du Kikongo et du Tshiluba (ou Ciluba). 

Le lingala est parlé à Kinshasa, en Équateur et dans une partie de la Province orientale. 

Le swahili est pratiqué à Kisangani (qui se situe dans la Province orientale), au Katanga, à Maniema, au Sud-Kivu et au Nord-Kivu. Le kikongo est parlé dans le Kongo central (Bas-Congo) et à Bandundu. En ce qui a trait au tshiluba, il est pratiqué dans le Kasaï oriental et dans le Kasaï occidental. Cette carte constitue une illustration des quatre grandes subdivisions linguistiques du pays qui regroupent à leur tour les 26 provinces. 

Carte de la répartition des langues en RDC

A propos des langues locales et des dialectes, il est aussi mentionné dans la constitution du pays qu’ils font partie du patrimoine culturel de la république et qu’il est du devoir des autorités étatiques en place de les sauvegarder (Constitution de la RDC, 2006). Ils sont au nombre de plusieurs centaines (Leclerc, 2016). Néanmoins, aucune étude scientifique ne parvient jusqu’à présent à confirmer de façon distincte la quantité de langues et de dialectes à l’œuvre dans ce grand pays de l’Afrique centrale. La différence entre une langue et un dialecte n’y est pas non plus clairement établie (Makomo, 2013).

La problématique de la cohabitation des langues dans l’univers social de la RDC

La question de la coexistence des langues et des dialectes en République démocratique du Congo suscite beaucoup de controverses au sein de l’intelligentsia locale et des chercheurs en général intéressés par ce pertinent objet d’étude linguistique. Elle a été au cœur des débats qui ont ponctué la quatrième édition de la rentrée littéraire de Kinshasa qui a eu lieu du 12 au 15 septembre 2019. Plus précisément au cours d’une conférence à la médiathèque de l’Institut français de Kinshasa, le 14 septembre de cette même année, intitulée « Langues nationales : dynamiques, métissages et littératures », plusieurs chercheurs et écrivains, dont des professeurs de l’Université de Kinshasa, ont réfléchi sur le statut, la place et le rapport des langues dans ce pays géant. 

Il est vrai que le français est et a toujours été, depuis la période coloniale belge, la langue officielle et que le lingala, le swahili, le kikongo et le tshiluba sont légalement désignés comme les quatre langues nationales à protéger et à prioriser, la réalité est, cependant, bien plus complexe. Une situation qu’il faut comprendre en fonction de divers phénomènes engendrés par la contemporanéité de plus de 200 langues et des dialectes qui s’élèveraient à plus de 400 dans les 26 provinces (Congo autrement, 2020). 

 Les langues et les dialectes s’influencent mutuellement, ce qui n’empêche pas les plus dynamiques d’atrophier les autres moins populaires. C’est le cas des deux langues nationales majoritaires (les plus parlées en RDC), à savoir le lingala et le swahili, qui nuisent au développement du kikongo et du tshiluba. 

En effet, le partage de l’espace « congophone » par plusieurs langues et dialectes fait qu’on trouve une multitude de mots des uns dans l’usage courant des autres. C’est dans cette perspective lorsqu’on parle, par exemple, du lingala facile ou du swahili facile, il est question d’emprunts, de l’utilisation d’autres mots et expressions d’autres langues dans ces langues nationales en vue d’une compréhension plus rapide et moins contraignante.

Ce fait, que constituent les emprunts liés à la cohabitation des langues en RDC, donne naissance à un autre phénomène qualifié « d’interlangue ou d’entrelangue » ». L’écrivain Makomo (2013) a débattu en long et en large de cette situation. Il a, en outre, laissé comprendre que l’usage de plusieurs langues dans le système éducatif de la RDC ne conduit pas nécessairement au multilinguisme. Mais de préférence à un mélange linguistique désordonné qui altère l’identité de la langue principale et qui conduit à un parler qu’on ne parvient pas encore à nommer véritablement ou qui n’a tout bonnement pas de nom.

Les panélistes de laconférence « Langues nationales : dynamiques, métissages et littératures » tenue à l’Institut français de Kinshasa, le 14 septembre 2019 (prise par Venus Darius)

Les langues nationales et l’enseignement en RDC

De façon claire, la constitution de 2006 a confirmé le français comme langue officielle et le lingala, le swahili, le kikongo et le tshiluba comme les quatre langues nationales privilégiées à promouvoir. La loi-cadre du 11 février 2014 de l’enseignement national a, dans une certaine mesure, développé ce qui est stipulé dans la constitution de 2006 amendée en 2011, quant à la place des langues dans l’enseignement général de la nation. Dans l’article 195 de ce document juridique, il est recommandé que, pendant les deux premières années du primaire, l’enseignement doit se faire dans l’une des quatre langues nationales désignées. À propos de la langue officielle, le français, elle interviendra comme langue générale d’enseignement à partir de la troisième année de ce cycle d’études. Les langues nationales ou régionales peuvent être aussi utilisées dans les autres cycles d’études, au cas par cas, comme outils d’apprentissage ou comme disciplines d’études, cela dépend de réglementations spécifiques propres aux circonstances et à la vocation de certains établissements d’enseignement. Il en est de même pour les langues étrangères qui sont déterminantes dans les rapports commerciaux, politiques et diplomatiques, elles peuvent être introduites dans le milieu éducatif (de tous les cycles) soit en tant que moyen de communication ou en guise de matières d’enseignement proprement dites.

D’autre part, les panélistes de la conférence relatée plus haut, les professeurs de l’Université de Kinshasa en particulier, ont souligné le fait que les quatre langues nationales ne couvrent pas l’entièreté de l’espace linguistique de la RDC. En effet, elles ne sont pas pratiquées dans certains endroits du pays, ce qui laisse le champ libre à des langues du milieu (ethniques), notamment le kiyaka (parlé dans une partie de Bandudu) et le tetela (pratiqué dans le nord du Kasaï et dans la Province orientale) d’être considérées comme langues d’enseignement au cours des deux années du niveau primaire.

Il va sans dire que les élèves et les étudiants congolais ont l’obligation d’être bilingues, trilingues ou multilingues. Mais dans de nombreux cas, selon Makomo (2013), ils se dirigent tout droit vers « l’interlangue ou l’entrelangue » qui dénote une sorte de macédoine, autrement dit un melting pot linguistique constitué des langues nationales, de la langue officielle d’enseignement (le français) et des langues étrangères mal apprises ou non maîtrisées.

Le thème de « langues et enseignement en République démocratique du Congo » demeure, en définitive, un objet d’étude fascinant et inépuisable pour les chercheurs des sciences humaines et sociales du monde entier.

Références

Congo autrement. Liste des langues et dialectes parlés en RDC. Repéré le 10 octobre 2020 à : https://www.congo-autrement.com/page/groupe-ethnique-de-rd-congo/

Constitution du 18 février 2006 de la République démocratique du Congo, modifiée par la loi 11/002 du 20 janvier 2011. (J.O. 5 février 2011), Numéro spécial. Repéré le 11 octobre 2020 à :  http://aceproject.org/ero-en/regions/africa/CD/rdc-constitution-2011/.  

Institut national de la Statistique (2019). Annuaire statistique RDC 2017. Kinshasa, ministère du Plan. Repéré le 7 octobre 2020. à : http://ins.mkbco.pro/Portals/0/OpenContent/Files/19172/ANNUAIRE_STATISTIQUE_2017_.pdf.   

Leclerc, J. (2016). « La République démocratique du Congo », dans l’aménagement linguistique dans le monde. Québec, Université Laval. Repéré le 9 octobre 2020 à : http://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/czaire.htm

Loi-Cadre n° 14/004 de l’enseignement national (J.O 11 février 2014). Repéré le 8 octobre 2020 à : http://www.leganet.cd/Legislation/Droit%20Public/enseignement/Loi14.004.11.02.2004.htm

Makomo, M. J. C. (2013). La politique linguistique de la R.D Congo à l’épreuve du terrain : de l’effort de promotion des langues nationales au surgissement de l’entrelangue. Synergies Afrique des Grands Lacs, (2), p. 45-61. Repéré le 6 octobre 2020 à : https://gerflint.fr/Base/Afrique_GrandsLacs2/makomo.pdf

Observatoire de la langue française (2020).OIF. Repéré le 8 octobre 2020 à :  http://observatoire.francophonie.org/qui-parle-francais-dans-le-monde/

Organisation internationale de la francophonie (2020).La langue française dans le monde. Paris, Éditions Gallimard.  Repéré le 12 octobre 2020 à : https://www.francophonie.org/sites/default/files/2020-02/Edition%202019%20La%20langue%20francaise%20dans%20le%20monde_VF%202020%20.pdf

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