La classe inversée pour contrer l’effet des grands groupes dans les classes de langue (by Amélie-Hélène Rheault)

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Amélie-Hélène Rheault est chargée de cours en linguistique à l’Université de Sherbrooke et en français langue seconde à l’Université Bishop’s. Elle détient un doctorat en linguistique en cotutelle de l’Université de Sherbrooke et l’Université catholique de Louvain. Ses intérêts touchent à tout ce qui concerne le rapport à la langue, principalement au Québec; elle a mené ces dernières années des recherches sur la perception des anglicismes, les rectifications orthographiques et la présence des linguistes dans la presse écrite québécoise.

J’ai commencé à enseigner le français langue seconde un peu par hasard, comme beaucoup d’ailleurs, en ayant une spécialité dans un domaine lié à la langue. J’enseignais à l’université depuis plus de 10 ans et en plus j’étais linguiste, je devais donc être qualifiée pour le faire, non? Sans doute, mais lors de ma première session comme enseignante de français langue seconde à l’université, je me suis heurtée à plusieurs problèmes que tous les spécialistes connaissent bien : quelle est la place de l’anglais (ou d’autres langues) dans une classe de français? Faut-il enseigner d’abord la grammaire ou se concentrer sur l’oral? Aujourd’hui, je sais que ces questions font l’objet de débats parmi les spécialistes, et qu’il existe toute une littérature à ce sujet. J’y reviendrai peut-être dans une prochaine publication puisque je crois que ces questions se posent autrement dans différents milieux, et que l’enseignement du français langue seconde en contexte universitaire est un peu particulier.

Ce qui m’occupe toutefois aujourd’hui est un autre problème auquel j’ai fait face, et c’est l’enseignement du français langue seconde en grand groupe à l’université. Considérant qu’apprendre une langue implique de pouvoir la pratiquer, il devient pour ainsi dire impossible de s’assurer de la participation de l’ensemble des étudiant.e.s lorsqu’ils sont plus de 30. Durant ma première session, j’en avais 53 provenant de différents pays, avec, disons-le, des degrés de motivation pour le moins divers. (Pour brosser un portrait un peu caricatural, ma classe était constituée de grands adolescent.e.s sortant de l’école secondaire canadienne, prenant un cours de français parce que c’est facile (!), d’adultes chinois extrêmement motivés mais assez démunis vis-à-vis des sons du français, de même que d’étudiant.e.s internationaux découvrant l’Amérique et l’hiver…) Le désinvestissement de certains étudiant.e.s me sautait aux yeux mais il m’était difficile d’intervenir sans perdre le reste de la classe. Je ne pouvais malheureusement pas m’assurer que les 50 participent (voir à ce sujet Vanpee, Godin et Lebrun, 2008), alors que je savais que c’était l’idéal à atteindre.

J’ai donc tenté, l’année suivante, la classe inversée, c’est-à-dire demander aux étudiant.e.s de voir la théorie à la maison, ce qui permet de libérer du temps en classe pour pratiquer. Bien sûr, comme c’était un groupe de débutants, je ne pouvais les laisser seuls avec un manuel exclusivement en français. J’ai ainsi décidé, avec ce groupe que je voyais deux fois par semaine, de consacrer le cours du jeudi à la présentation des notions qui étaient couvertes par le chapitre que nous devions voir cette semaine-là. Ils devaient par la suite faire tous les exercices du manuel à la maison. Le hic est là : s’assurer que les étudiant.e.s font le travail préparatoire à la maison, c’est pourquoi je leur demandais, avant d’entrer en classe le mardi suivant, de passer un mini-test sur Moodle.

L’un des avantages de la classe inversée est de permettre aux étudiant.e.s de préparer la matière au moment et dans l’environnement qui leur conviennent, et de revoir les notions aussi souvent que désiré (Lecoq et Lebrun, 2016 : 9)

Une fois dans la classe, le mardi, ils se regroupaient en équipe, toujours les mêmes pour qu’ils se sentent en confiance, et pratiquaient ce qu’ils avaient vu dans le manuel à l’aide d’activités que j’avais préparées. Je pouvais alors me promener entre les équipes pour répondre aux questions, évaluer la participation, et être, de manière générale, plus disponible pour offrir un soutien individuel.

À la fin de cette première session en classe inversée, je me suis aperçue que les notes étaient significativement plus élevées. J’étais vraiment excitée et impatiente de tenter à nouveau l’expérience. Malheureusement, le deuxième essai a été moins spectaculaire… Peut-être le groupe précédent avait-il été particulièrement fort, ou particulièrement réceptif à ce type d’approche pédagogique? Ça arrive, il y a des groupes plus forts et d’autres plus faibles, il y a des groupes plus autonomes et d’autres plus passifs. Ce que j’ai remarqué, par contre, et qui m’incite à poursuivre dans cette voix, c’est que de manière générale, les étudiant.e.s étaient plus à l’aise de parler en français, plus à l’aise de s’exprimer même en faisant des fautes, puisqu’ils avaient été habitués à le faire toutes les semaines, et le plus souvent sans le regard évaluateur de l’enseignante.

Le travail en petits groupes rend la prise de parole plus facile.

Depuis que j’ai essayé la classe inversée dans mes cours de français langue seconde à l’université, je me suis mise à lire sur le sujet. Si certains y voient la solution miracle, d’autres sont plus sceptiques, notamment en ce qui a trait à l’aspect novateur de cette approche dans l’enseignement des langues (Puren, 2018). Néanmoins, comme elle est profondément modulable (Bélanger, 2016), c’est-à-dire qu’elle peut être exploitée dans l’ensemble du cours ou seulement dans certaines parties, elle peut utiliser différents supports, technologiques (vidéo) ou traditionnels (lectures), il s’agit d’une ressource je suis très heureuse de pouvoir compter dans mon répertoire d’enseignante.

Bélanger, Dave (2016), « Inverser sa classe de manière profitable », Pédagogie collégiale, vol. 30, no 1, p. 23-28. Disponible à http://aqpc.qc.ca/sites/default/files/revue/belanger-vol.30-1.pdf

Lecoq, Julie et Marcel Lebrun (2016), La classe à l’envers pour apprendre à l’endroit. Guide pratique pour débuter en classe inversée, Louvain-la-Neuve : Les Cahiers du Louvain Learning Lab. Disponible à https://oer.uclouvain.be/jspui/bitstream/20.500.12279/346/9/Classes_Inversees.pdf

Puren, Christian (2018). La classe inversée : une analyse critique d’un point de vue de didactique des langues-cultures. Disponible à https://www.christianpuren.com/mes-travaux/2018a/

Vanpee, Godin et Lebrun, (2008). « Améliorer l’enseignement en grands groupes à la lumière de quelques principes de pédagogie active », Pédagogie médicale, vol. 9, no 1, p. 32-41. doi: https://doi.org/10.1051/pmed:2008032

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