Les représentations sociales sur les langues d’élèves de la fin de l’élémentaire en contexte francophone minoritaire

Volume 1(1): 2017

JOËL THIBEAULT, Université de Regina

CAROLE FLEURET, Université d’Ottawa

 

RÉSUMÉ

Cet article présente les résultats d’une étude de cas multiples menée auprès de huit élèves scolarisés en français à la fin du cours élémentaire dans le sud-ouest de l’Ontario et décrit, d’une part, les représentations sociales sur les langues qu’ils se sont construites et, de l’autre, les liens que ces représentations entretiennent avec le développement de leur compétence à accorder les verbes en nombre à l’écrit. Les résultats montrent que les participants détiennent tous des représentations positives à l’égard des langues et du plurilinguisme ; pour cette raison, il est difficile de poser des hypothèses viables vis-à-vis de leur influence sur l’accord verbal. Dans la discussion, nous abordons la mission homogénéisante de l’école de langue française en contexte minoritaire et invitons les acteurs de la scène éducative à tenir compte du plurilinguisme des élèves dans leurs pratiques.

ABSTRACT

This article presents the results of a multiple case study conducted with eight pupils who were schooled in French at the end of the elementary years in Southwestern Ontario. It describes, on the one hand, their social representations of languages and, on the other, the potential connections between these representations and how they made verbs agree in number with their subject when they write. Results show that participants constructed positive representations towards languages and plurilingualism; for this reason, it is difficult to formulate reliable hypotheses vis-à-vis their influence on subject-verb agreement. In our discussion, we examine the homogenizing mission of French schools in minority settings and support that teachers should take their students’ plurilingualism into account in their practice.

Mots-clés : Représentations sociales des langues, milieu francophone minoritaire, grammaire, accord du verbe, écriture.

Introduction

Fruit de luttes historiques, l’école de langue française en Ontario, fondée sur l’appartenance à une identité culturelle commune (Bélanger, 2007, 2015), joue sans conteste un rôle fondamental dans le maintien de la langue minoritaire. Cette école, dès lors pensée en fonction d’une mission homogénéisante, celle de procurer aux élèves, dans un milieu anglodominant, un espace de formation et de socialisation francophone, met en avant-plan la valorisation de la langue et de la culture françaises, et encourage fréquemment le recours exclusif à cette langue dans l’enceinte scolaire. Si elle s’avère noble, cette visée protectrice occasionne également un certain nombre d’enjeux socioéducatifs ; nous en relaterons ici deux.

Le premier a trait à l’identité linguistique hybride que se construisent les élèves qui fréquentent ces établissements (Dallaire, 2008; Dalley, 2006). Car, si l’école veut d’abord et avant tout offrir un environnement permettant la construction d’une identité linguistique francophone, l’élève ayant évolué en contexte minoritaire, lui, se situe immanquablement à la confluence d’au moins deux langues-cultures. Les acteurs de la scène éducative, devant cette pluralité linguistique indéniable, ont donc comme mandat d’amener les élèves à développer un capital linguistique et culturel français, et ce, en mettant en place une éducation inclusive, dans laquelle les élèves, plurilingues, peuvent se reconnaitre et s’épanouir. Cette situation, que Heller (2006) qualifie de paradoxale, encouragerait le personnel scolaire à participer à l’unification du marché linguistique (Bélanger, 2007) en ne valorisant que le français dit standard et à former les élèves au monolinguisme français (Labrie, 2007). On peut donc se demander si et comment les apprenants font sens de cette éducation, qui tend à faire fi de leur vécu plurilingue.

L’autre enjeu, qui fait écho au premier, concerne l’arrivée massive des élèves issus de l’immigration dans les écoles de langue française en milieu minoritaire, ceux-ci contribuant indubitablement à la constante hétérogénéisation des populations scolaires. Comme le souligne Schroeter (2017), « [i]deas about multiculturalism and the increasing diversity of students in Francophone [minority] schools sit uncomfortably with their purpose of maintaining a cultural identity as Francophones » (p. 41). Pour valoriser le bagage de ces élèves, les écoles miseraient donc surtout sur des pratiques folklorisantes et privilégieraient principalement des célébrations ponctuelles de la diversité culturelle (Fleuret, Bangou et Ibrahim, 2013; Gérin-Lajoie, 2014). De manière générale, on note donc que l’école peine à trouver un équilibre entre la création d’une identité francophone, que l’on envisage surtout de manière monolithique (Labrie, 2010), et la pluralité qui caractérise les élèves qui la fréquentent.

C’est à la lumière de ces éléments sociolinguistiques que nous menons nos travaux, qui portent sur la description du développement de la compétence qui permet à des élèves de la fin de l’élémentaire scolarisés dans le sud-ouest de l’Ontario, la zone la plus anglodominante de la province (Ontario 400, 2016), d’accorder les verbes en nombre à l’écrit au présent de l’indicatif. Pour mieux comprendre ledit développement, dans une perspective socioconstructiviste de l’apprentissage (Vygotski, 1934/1997), nous avons également voulu le mettre en relation avec des facteurs d’ordres cognitifs, affectifs et socioéducatifs qui sont susceptibles de le soutenir ou de le freiner. Dans cet article, nous mettrons l’accent sur un facteur affectif dont la popularité est grandissante en didactique : les représentations sociales sur les langues. De cette façon, nous pourrons notamment voir, d’une part, si le contexte sociolinguistique composite dans lequel les élèves évoluent et les tensions qui gravitent autour de leur plurilinguisme en contexte minoritaire façonnent la construction de leurs représentations et, d’autre part, si ces représentations influent sur leurs accords verbaux.

Les représentations sociales des langues

D’après Carlo, Jin-Ok, Granget, Prodeau et Véronique (2009), apprendre une langue ne se résume pas à enclencher une mécanique qui tournerait sans ratés, à condition de lui fournir du matériau linguistique. Comme ils le postulent, l’être humain s’appropriant une langue fonde aussi son apprentissage sur les représentations qu’il se construit de la langue elle-même et du groupe social qui en fait usage. En milieu minoritaire, on peut effectivement se demander si l’élève dont l’identité linguistique plurielle peine à être reconnue par le système éducatif est enclin à développer un répertoire de représentations négatives vis-à-vis du français et si ces représentations peuvent influer sur son engagement dans l’apprentissage de la langue de scolarisation. Dans cette optique, depuis quelques années, on s’intéresse, surtout en didactique des langues secondes, aux représentations sociales que l’élève développe à l’égard des langues et à leurs influences potentielles sur le développement de compétences linguistiques (Lory, 2015; Moore, 2006).

Les écrits de Moscovici et de Jodelet en psychologie sociale sont ceux qui servent de piliers théoriques ; sur eux repose la recherche portant sur les représentations sociales. Pour Moscovici (1961), les représentations sociales revêtent trois dimensions : (1) un certain niveau d’information détenue par l’individu à l’intérieur de son (ses) groupe(s) d’appartenance à propos d’un objet donné, (2) une dimension structurale, c’est-à-dire la façon dont sont hiérarchisées les représentations, et (3) une dimension attitudinale, une position évaluative vis-à-vis de l’objet de représentation. De manière générale, pour Jodelet (1984), les représentations renvoient donc à des façons de penser la réalité, dont les assises significatives sont socialement construites. Ainsi permettent-elles à un sujet de se positionner, souvent sans même qu’il en prenne conscience, à l’égard d’un objet, ce dernier pouvant adopter plusieurs formes (une idée, un construit, une personne, un évènement, une langue, etc.).

Depuis les années 1980, avec l’avènement de l’approche communicative, on reconnait de plus en plus que l’apprentissage d’une langue, première ou seconde, s’opère d’abord et avant tout dans l’interaction. Ces interactions, par l’intermédiaire desquelles sont partagées et coconstruites les représentations, constituent un outil facilitant le développement linguistique. Cela dit, l’interaction constitue aussi un véhicule permettant aux représentations de l’individu, dynamiques, d’évoluer à partir de celles qui existent dans ses groupes d’appartenance (Moore, 2006). C’est devant cet état de fait que de nombreux chercheurs européens en didactique ont commencé à s’interroger sur le rôle des représentations sur les langues dans leur apprentissage. Pour Dabène, citée dans Castellotti et Moore (2002), « on reconnait en particulier que les représentations que les locuteurs se font des langues, de leurs normes, de leurs caractéristiques, ou de leurs statuts au regard d’autres langues influencent les procédures et les stratégies qu’ils développent et mettent en œuvre pour les apprendre et les utiliser » (p. 7). Müller (1995), de son côté, mentionne que les représentations constituent une variable qui, en arrière-plan, agit comme des filtres influençant l’acquisition de la langue seconde. Lory (2015), dans une recherche portant sur l’évolution des représentations sociales sur les langues d’élèves plurilingues de l’élémentaire québécois dans le cadre d’un projet scolaire visant la valorisation et la mise à profit de leur plurilinguisme en classe, identifie six raisons qui motiveraient l’étude de ce concept en didactique (tableau 1).

  1. Les représentations négatives sur les langues sont susceptibles de constituer une barrière à la mise en place de pratiques pédagogiques collaboratives et inclusives au cœur desquelles les langues des élèves, les langues de scolarisation et la diversité linguistique cohabitent et sont considérées comme des atouts dans l’apprentissage.
  1. Les représentations sur les langues jouent sur les dimensions cognitives et langagières impliquées dans le processus d’apprentissage.
  1. Par leur aspect holistique, les représentations nous permettent spécifiquement de considérer les processus mobilisés dans l’émergence de ces représentations et ceux qui sont en jeu dans le processus d’apprentissage
  1. Les représentations sont susceptibles d’influencer le maintien ou non des langues d’origine des élèves.
  1. Les représentations peuvent influencer le désir d’apprentissage ultérieur de langue(s) d’origine et de nouvelles langues.
  1. Le développement de représentations positives sur la diversité linguistique a une influence au niveau social dans la mesure où ces représentations participent à l’atténuation des stéréotypes et des préjugés vis-à-vis de l’Autre et sont à la base de la construction d’un « vivre-ensemble » dans les sociétés plurilingues et pluriculturelles actuelles.

Tableau 1 : Arguments justifiant la pertinence de l’étude des représentations sociales en didactique des langues (Lory, 2015, p. 82-83)

 

Étant donné le sujet de notre recherche, le développement de la compétence liée à l’accord du verbe en nombre et ses liens potentiels avec les représentations sociales de l’élève sur les langues, nous présentons maintenant des résultats de recherches qui témoignent du deuxième point listé par Lory (2015), l’influence des représentations sur les processus cognitifs et langagiers qui sont impliqués dans l’apprentissage. Les recherches en didactique s’étant intéressées aux représentations sociales des langues ont surtout focalisé sur leur évolution lors de programmes d’éveil aux langues, qui visent la reconnaissance du plurilinguisme de l’élève et son utilisation en salle de classe. Ces travaux montrent, entre autres, que l’élève ayant développé des représentations positives eu égard à ses langues et au plurilinguisme sait plus facilement se distancier vis-à-vis de son répertoire linguistique et qu’il est à même de développer des outils cognitifs et métalinguistiques pour résoudre différents problèmes (Castellotti et Moore, 2002). Ces élèves construiraient également une compétence lexicale plus fine, surtout pour ce qui est du vocabulaire associé aux langues et à leur utilisation, et ils afficheraient, grâce à de tels programmes, un développement important dans leur style argumentatif (Lory, 2015).

En écriture, l’étude de Fleuret et Armand (2012), menée auprès de 11 élèves créolophones haïtiens suivis de la maternelle à la troisième année, a cherché à comprendre l’influence potentielle des représentations sociales à l’égard des deux langues (français-créole) et du bi/plurilinguisme sur le développement orthographique. Sans pouvoir attester de la normativité des données, les chercheures remarquent toutefois des tendances qui nous incitent à approfondir le lien représentations-développement orthographique. En effet, les élèves du groupe qui accuse un développement orthographique lent sont également ceux qui ne manifestent qu’une faible curiosité relative à l’apprentissage des langues et qui posent un regard négatif sur la diversité linguistique. Ceux du groupe rapide, à l’inverse, sont davantage ouverts par rapport à l’apprentissage du français et à la diversité. Le discours tenu par les élèves dont le développement est plus rapide est également mieux appuyé sur le plan métalinguistique, car ils savent argumenter en faveur du bi/plurilinguisme, notamment à l’aide de réflexions métalinguistiques.

L’accord du verbe en nombre à l’écrit

Pour contextualiser notre recherche, nous devons également nous arrêter sur la compétence linguistique dont nous avons initialement décrit le développement (Thibeaut, Fleuret et Lefrançois, à paraitre) et que nous avons mise en lien avec les représentations sociales des langues de nos participants : celle qui sous-tend l’accord du verbe en nombre à l’écrit. Si la règle qui en régit le fonctionnement — le verbe s’accorde en nombre et en personne avec le noyau du groupe en fonction sujet (Boivin et Pinsonneault, 2008) — parait relativement simple, cet accord est en fait doté d’une complexité importante pour le jeune scripteur, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, au présent de l’indicatif, les verbes les plus fréquents, qui sont aussi les plus irréguliers, affichent de nombreux radicaux (Meleuc et Fauchart, 1999; Roy-Mercier et Chartrand, 2016). De surcroit, la grande majorité des marques morphologiques que le scripteur doit orthographier en accordant le verbe est inaudible (Fayol et Jaffré, 2014). Enfin, la complexité de la structure phrastique peut jouer un rôle de premier ordre dans la réussite de l’accord ; de ce fait, si le sujet se réalise sous la forme d’un simple pronom, l’accord est susceptible d’être réussi. Cela dit, s’il existe une distance syntaxique entre le donneur et le receveur d’accord, les probabilités d’erreurs augmentent (Boyer, 2012; Cogis, 2013). Ainsi la recherche en milieu majoritaire nous dit-elle que, à la fin du cours élémentaire, l’apprentissage de l’accord est entamé, mais pas complété. Il existerait en outre une hétérogénéité importante dans les connaissances des élèves vis-à-vis de cet objet d’apprentissage (Geoffre et Brissaud, 2012). Il nous semblait donc intéressant de voir, dans le cadre de notre recherche, si un ensemble de facteurs de différents ordres pouvaient influer sur son développement à la fin de l’élémentaire puisque les élèves sont censés en avoir construit certaines connaissances, mais que ces dernières varient d’un scripteur à l’autre.

Ainsi, à la lumière de ces éléments de conceptualisation, nous pouvons maintenant poser les questions auxquelles nous répondrons dans cet article. Elles sont au nombre de deux :

  1. Quelles sont les représentations sociales sur les langues que se sont construites des élèves de la fin du cours élémentaire scolarisés en français dans le sud-ouest de l’Ontario ?
  2. Quels sont les liens qui unissent ces représentations et le développement de leur compétence à accorder les verbes en nombre à l’écrit au présent de l’indicatif ?

Méthodologie

De nature exploratoire, la recherche de laquelle sont tirées les données présentées dans cet article est une étude de cas multiples (Karsenti et Demers, 2011; Stake, 1995) réalisée auprès de huit élèves scolarisés au sein d’une classe multiâges de la 5e/6e années, dans le Sud-Ouest ontarien. Au début de l’étude, en janvier 2015, la moitié des participants était en 5e année, tandis que l’autre était en 6e année. Ils connaissent tous minimalement deux langues, ce qui est typique des élèves en contexte minoritaire, mais certains d’entre eux en connaissent d’autres, leurs parents étant issus de l’immigration. Afin de rendre compte des répertoires langagiers de nos élèves, nous présentons le tableau 2, dans lequel nous faisons état des langues que nos participants parlent à la maison.

Élève (niveau scolaire en début d’étude) Langue(s) parlée(s) avec la mère Langue(s) parlée(s) avec le père
Emma (5e) Anglais Anglais
Maya (5e) Anglais, français Anglais
Ali (5e) Arabe, français, anglais Anglais, arabe, français
Alicia (5e) Anglais, tagalog, français Anglais
Sabrina (6e) Anglais, français, espagnol Anglais
Pierre (6e) Créole haïtien Créole haïtien
Kate (6e) Anglais, français Anglais
Isaac (6e) Swahili, français Français, anglais

Tableau 2 : Langue(s) que les participants utilisent lorsqu’ils parlent à leurs parents

 

Pour décrire leurs représentations sociales sur les langues, deux outils de collecte ont été retenus : le questionnaire à questions fermées et l’entretien individuel semi-dirigé. Le questionnaire a été conçu dans le cadre du projet Élodil (Éveil au langage et ouverture à la diversité linguistique) (Armand et Maraillet, 2004). Sa forme est inspirée des travaux de Harter (1999), et l’élève est donc appelé à nuancer le positionnement binaire qu’il a initialement adopté en fonction de l’item qui lui est présenté. Cette épreuve, constituée de 16 questions et administrée en janvier 2016, aborde deux thèmes qui concernent les langues, chacun d’eux se manifestant par huit items. Le premier concerne l’ouverture à la diversité linguistique (représentations sur les langues et sur les locuteurs de ces langues), le deuxième vise à connaitre la motivation et la curiosité face à l’apprentissage des langues. Lors de l’analyse des données, nous avons appliqué une échelle de valeur positive et négative allant de deux points à moins deux points. Pour chacun des deux axes du questionnaire, un total de 16 points était donc possible. Voici un exemple d’item portant sur l’ouverture de l’élève quant à la diversité linguistique.

Figure 1 : Exemple d'item du questionnaire Source : Harter, 1999.
Figure 1 : Exemple d’item du questionnaire
Source : Harter, 1999.

 

Afin de trianguler les données provenant du questionnaire, et parce les représentations sociales peuvent surtout être recueillies à partir des discours, eux aussi socialement ancrés (Moore et Py, 2008), nous avons rencontré chacun de nos huit participants dans le cadre d’un entretien individuel semi-dirigé, lequel s’est aussi tenu en janvier 2016. Pour ce faire, nous avons repris le guide d’entrevue d’Armand et Maraillet (2004), qui contient cinq grands thèmes : le thème 1 a trait à l’utilité des langues, le thème 2 cible l’appréciation des langues, le thème 3 concerne l’égalité des langues, le thème 4 porte sur l’égalité des locuteurs des langues et le thème 5 aborde les langues dans le monde. Les questions ont été posées en français, bien que les élèves n’aient reçu aucune directive quant à la langue à adopter en y répondant. À la suite des entrevues, que nous avons audiocaptées, nous avons procédé à leur transcription en verbatim et, dans la section suivante, nous en présenterons des extraits qui relèvent de deux de ces six thèmes, ceux que nous jugeons les plus pertinents pour notre sujet d’étude : l’égalité des langues (« Quelqu’un m’a dit que toutes les langues sont égales. Qu’est-ce que ça veut dire « égal » ? Qu’est-ce que tu en penses ? ») et l’égalité des locuteurs des langues (« À ton avis, est-ce que les personnes qui parlent français ont plus de chance que celles qui parlent d’autres langues ? Pourquoi ? »).

Comme nous le disions précédemment, l’étude ici présentée s’inscrit dans une recherche plus large visant la description du développement de la compétence qui sous-tend l’accord du verbe en nombre à l’écrit. L’étude initiale (Thibeault, Fleuret et Lefrançois, à paraitre) a donc permis l’émergence de trois groupes de scripteurs, leur nom ayant été remplacé par un pseudonyme dans cet article. Le premier groupe, composé de Pierre, de Sabrina et d’Emma, fait preuve d’une compétence affinée dès le début de l’étude ; ces élèves s’engagent presque systématiquement dans la quête d’un donneur d’accord, ils détiennent des connaissances morphologiques fécondes à l’endroit du verbe, mais les environnements syntaxiques complexes, par exemple lorsque le verbe se situe en amont de son sujet, peuvent leur occasionner des difficultés. Le profil de ces élèves n’évolue que peu au gré de l’étude. Plus faible, le deuxième groupe, Isaac, Kate et Maya, est tout à fait différent. Au début de la recherche, ces élèves ne connaissent pas la marque prototypique de la pluralité des verbes (-ent) et ne s’engagent jamais dans la recherche d’un donneur lors du processus d’accord ; ils commettent de facto un nombre d’erreurs plus élevé. À la fin de l’étude, on note une intériorisation progressive du pluriel des verbes, mais leur réflexion grammaticale ne leur permet pas encore d’identifier le donneur d’accord. En ce sens, ils orthographient parfois les verbes avec le –ent attendu, sans nécessairement pouvoir en justifier la présence. Le troisième groupe, Alicia et Ali, ressemble au deuxième groupe au début de la recherche. Toutefois, au gré des 13 mois de l’étude, il fait montre d’un développement notable et, au terme de la recherche, il rappelle davantage les élèves du groupe 1. Dans cet article, à l’aune des trois groupes qui ont fait surface dans l’étude initiale, nous présenterons les représentations sociales des langues de nos participants et nous les mettrons en lien avec le développement de la compétence permettant l’accord verbal en nombre à l’écrit.

Résultats

Pour présenter nos résultats, nous explorerons d’abord les scores des élèves au questionnaire en fonction des deux axes qui en ont orienté la conception. Lorsque ces données seront mises au jour, nous nous concentrerons sur chacun des huit élèves selon leur groupe d’appartenance et nous présenterons des extraits issus de l’entretien individuel que nous avons mené avec eux.

Faisant état des scores au questionnaire, le diagramme à bandes verticales représenté dans la figure 2 nous révèle que les représentations sociales des langues de nos participants paraissent généralement positives ; ils semblent donc tous relativement ouverts à la diversité linguistique et curieux face à l’apprentissage des langues. Cela étant dit, un lien entre les représentations sociales des langues et le développement de la compétence associée à l’accord verbal à l’écrit ne semble pas se manifester à partir des données du questionnaire. Du côté de l’ouverture à la diversité linguistique, ce sont deux élèves du groupe 2, Kate (14/16) et Isaac (11/16), qui obtiennent les scores les plus élevés. Suit la dernière participante de ce groupe, Maya, qui affiche le même score que deux des trois élèves du groupe 1, Pierre et Sabrina (8/16). Emma leur succède avec un score de 7/16, tandis que les deux élèves du groupe 3 enregistrent les scores les plus bas : Alicia obtient 4/16, Ali est l’unique élève dont le score relatif à l’ouverture à la diversité est négatif (-2/16). En ce qui concerne la motivation et la curiosité vis-à-vis de l’apprentissage des langues, Isaac (15/16) demeure en tête de lice, devant Emma et Sabrina, qui obtiennent un résultat identique (11/16). Maya les suit de près (10/16), alors qu’Alicia, Ali et Kate présentent un score de 7/16. Avec un score de 3/16, Pierre est celui qui obtient le plus bas.

Figure 2 : Représentations sociales des langues
Figure 2 : Représentations sociales des langues

 

Dans le groupe 1, celui qui présente une compétence certaine à accorder les verbes du début à la fin de la recherche, les élèves semblent s’être construit des représentations positives à l’égard des langues, leur score concernant l’ouverture à la diversité au questionnaire se situant entre 7/16 et 8/16, et celui sur la curiosité vis-à-vis de l’apprentissage des langues étant de 3/16, pour Pierre, et de 11/16, pour Sabrina et Emma. Cette dernière, quand on lui demande si, pour elle, toutes les langues sont égales, s’empresse de répondre à l’affirmative. Elle précise :

Expérimentateur : Pourquoi est-ce que tu penses que les langues sont égales ?

Emma : Parce que tu peux encore dire la même chose comme, euh. . .mais dans des différentes façons et comme. . .il y a des. . .il y a des lieux où tu peux utiliser cette langue.

Emma, qui met en avant le côté arbitraire des langues, affirme donc qu’elles sont égales de deux points de vue. D’une part, elle souligne qu’elles servent toutes à nommer des réalités, mais de façons différentes ; de l’autre, elle reconnait que ces réalités sont tributaires du contexte géographique, que l’on recourt à certaines langues dans certains milieux. La réponse qu’elle offre quand nous lui demandons si les locuteurs du français ont plus de chance que les autres abonde dans le même sens. En effet, elle mentionne que, pour elle, ce n’est pas le cas, mais qu’une personne qui connait les deux langues officielles du Canada est plus chanceuse :

Expérimentateur : Pourquoi tu penses qu’on a plus de chance si on parle les deux ?

Emma : Parce qu’il y a des jobs en Canada. Comme tu parles français, so t’as plus de chance d’avoir un job.

Dans ce passage, elle fait mention d’une caractéristique pragmatique liée à l’apprentissage du français au Canada, cette langue permettant selon elle d’accéder à un nombre d’emplois plus élevé.

Sabrina, pour sa part, discute davantage de l’utilité communicationnelle des langues. Elle met en évidence la valeur équivalente des langues et la justifie en précisant qu’elles sont toutes un outil de communication. Quand nous lui posons la question sur les locuteurs des langues anglaise et française, elle offre une réponse qui reflète cette perspective.

Expérimentateur : À ton avis, est-ce que les personnes qui parlent français ont plus de chance que les personnes qui parlent anglais ?

Sabrina : Non.

Expérimentateur : Et est-ce que les personnes qui parlent anglais ont plus de chance que les personnes qui parlent français ?

Sabrina : Non.

Expérimentateur : Non. Pourquoi ?

Sabrina : Car les deux servent pour la même utilité que pour parler avec tes amis, enseignante et apprendre les langues aussi.

Ainsi est-elle d’avis que les personnes qui parlent le français et l’anglais ont une chance égale, car les langues serviraient principalement à communiquer. Nonobstant le milieu anglodominant par le truchement duquel elle est socialisée au langage, il appert que Sabrina n’accorde pas de statut particulier à l’anglais. Elle semble aussi reconnaitre une certaine valeur euristique aux langues, puisqu’elle souligne, à la toute fin de ce passage, qu’une langue peut être mise à profit dans l’apprentissage d’autres langues.

Les représentations de Pierre quant à l’égalité des langues et de leurs locuteurs ne semblent toutefois pas être aussi positives que celles de ses camarades du groupe 1. Quand nous lui demandons si les langues sont toutes égales, il nous déclare, après un long moment d’hésitation, « un peu ». Au moment où nous l’invitons à expliciter sa pensée, il peine à répondre et, après quelques secondes, il affirme ceci :

Pierre : Le créole est presque le même avec le français.

Expérimentateur : Okay, pourquoi ?

Pierre : Parce que quand tu dis bonjour en créole, c’est le même qu’en français, mais tu ne mets pas le r.

Créolophone haïtien, Pierre, qui montre ici sa connaissance d’un lexique similaire en créole et en français, reconnait qu’une langue peut être égale à une autre en raison de leur proximité linguistique. Plus tard dans l’entrevue, nous l’invitons à s’exprimer concernant les locuteurs du français en nous disant si, d’après lui, ils ont la même chance que les locuteurs de l’anglais.

Expérimentateur : À ton avis, est-ce que les personnes qui parlent français ont la même chance que les personnes qui parlent anglais ?

Pierre : Pas vraiment.

Expérimentateur : Pourquoi ?

Pierre : Parce qu’on est un pays qui est anglais. Si tu ne parles pas anglais, tu ne peux pas comprendre ce que les personnes dit.

De manière similaire à Sabrina, Pierre semble admettre la visée communicationnelle des langues, mais restreint sa réflexion au contexte canadien anglophone. Il parait donc être bien conscient du fait qu’il grandit dans un milieu où le français est minoritaire et, conséquemment, il croit que l’anglais s’avère essentiel. Rappelons finalement que Pierre obtient au questionnaire un score analogue à celui de Sabrina et d’Emma pour la dimension touchant l’ouverture à la diversité linguistique, mais que celui en lien avec la curiosité à l’endroit de l’apprentissage des langues est inférieur de 8 points au résultat de ses pairs. Il appert donc que ce score trouve un certain écho dans les propos qu’il tient pendant l’entrevue, car il ne semble pas positionner les locuteurs du français et de l’anglais sur un pied d’égalité, en raison de l’anglodominance caractérisant son milieu.

Les membres du groupe 2, moins compétents lorsqu’ils accordent leurs verbes au gré de la recherche, obtiennent des scores équivalents (Maya) ou plus élevés (Kate et Isaac) que ceux du premier groupe pour ce qui est de l’ouverture à la diversité linguistique. Les résultats associés à la curiosité et à la motivation relatives à l’apprentissage des langues sont quant à eux plus épars ; ils varient entre 7/16, pour Kate, et 15/16, pour Isaac. Ce dernier participant, quand nous lui demandons si, selon lui, les langues sont égales, nous répond ceci :

Expérimentateur : Quelqu’un m’a dit que toutes les langues sont égales. Qu’est-ce que ça veut dire, égales?

Isaac : Umm, ils sont tous importantes.

Expérimentateur : Elles sont tous importantes. Elles sont toutes importantes de la même façon. Et qu’est-ce que tu penses de ça?

Isaac : Je pense que c’est bon.

Expérimentateur : Pourquoi, tu penses?

Isaac : Mais il y a certaines langues que tu parles plus, le latin.

Expérimentateur : Le latin, oui.

Isaac : Parce que si tu es la personne qui sait ça, tu peux enseigner aux autres.

À partir de cet échange, nous posons l’hypothèse que, pour Isaac, la visée première d’une langue est la communication. En effet, il souligne que toutes les langues sont importantes, mais il fait aussi mention d’une langue morte, le latin, qu’il semble opposer à celles qui sont encore en usage. Sans contextualiser ses dires, il précise ensuite que les langues peuvent être utilisées à des fins didactiques, qu’elles peuvent être enseignées à ceux qui ne les connaissent pas. Enfin, Isaac ajoute que les locuteurs du français n’ont pas plus de chance que les locuteurs de l’anglais, mais il déclare ne pas être en mesure d’expliciter sa pensée, ni en français ni en anglais.

Du côté de Kate, c’est le caractère spécial que revêtent les langues qui les rend égales.

Expérimentateur : Quelqu’un m’a dit une fois que toutes les langues étaient égales. Qu’est-ce que ça veut dire, pour toi, égales?

Kate : Que toutes les langues sont comme également spéciales et. . .

Expérimentateur : Okay, tu penses quoi de ça, toi ?

Kate : Je pense que c’est vrai parce que tous les langues sont égales parce que on a besoin de tous les langues, elles sont tous égales parce que tout. . .comme tout le monde parle cette langue, et c’est vraiment important pour tout le monde. Alors, c’est égal.

Kate semble d’abord reconnaitre que les langues sont utiles pour la communication, mais elle met l’accent sur l’importance des langues pour leurs locuteurs. Lorsque nous la questionnons concernant la chance qu’ont les locuteurs du français et de l’anglais, elle nous répond qu’ils ont une chance égale, et ce, pour deux raisons. D’abord, elle fait mention des perspectives d’emplois qui sont associées aux connaissances de ces langues. Elle souligne aussi qu’il existe plusieurs endroits où les gens parlent français ou anglais et, de ce fait, la connaissance de ces deux langues peut donc s’avérer utile en déplacement. Somme toute, Kate semble reconnaitre que les langues jouent un rôle pluriel ; elles servent à la communication, à l’emploi et aux voyages, mais elle admet aussi que les langues sont importantes pour ceux qui les parlent. Elle les discute donc autant dans une optique pragmatique, en traitant de ce que les langues permettent de réaliser, mais aussi dans une perspective axée sur l’affectivité.

Maya, réservée pendant l’entretien, ne propose guère de réponses élaborées à nos questions.

Expérimentateur : Quelqu’un m’a dit une fois que toutes les langues étaient égales. Qu’est-ce que ça veut dire, pour toi, égales?

Maya : Toutes les langues sert à quelque chose et elles ont tous une importance.

Expérimentateur : Okay, puis t’en penses quoi ?

Maya : Je pense que comme toutes les langues sont uniques et belles.

À la suite de la première question, Maya se focalise sur les visées pragmatiques des langues, en ce sens qu’elle mentionne qu’elles sont importantes, qu’elles servent toutes à quelque chose. Puis, quand nous sondons plus précisément son opinion, elle semble adopter une perspective esthétique, en mettant en évidence la beauté et l’unicité des langues. Elle évite toutefois la question que nous lui posons plus tard dans l’entrevue, celle portant sur les locuteurs des langues.

Eu égard au groupe 3, dont les membres accusent un progrès notable eu égard à l’accord verbal entre le début et la fin de l’étude, les résultats pour l’ouverture à la diversité linguistique varient de -2/16, pour Ali, à 4/16, pour Alicia ; ils sont toutefois identiques concernant la curiosité et la motivation dans l’apprentissage des langues (7/16). Ali déclare que, à son avis, les langues sont égales parce qu’elles sont toutes utiles. Puis, sans que nous le sollicitions, il nous raconte la visite d’un invité à son école.

Expérimentateur : Et d’après toi, toutes les langues sont égales?

Ali : Comme dans. . .il y a. . .il y a Mister Serge, il est venu dans la classe.

Expérimentateur : Mister qui ?

Ali : Monsieur Serge. Il est quelqu’un d’Ottawa. Lui, il nous a parlé, et dans son country et dans son city, ils parlent plus que 160 langues.

Expérimentateur : C’est Ottawa, son city ?

Ali : Non, à Afrique. C’est actually vraiment intéressant.

Ce passage semble montrer qu’Ali a non seulement des représentations positives à l’égard des langues, mais aussi à l’endroit de leurs locuteurs et, de manière générale, du plurilinguisme. Dans cette même optique, quand nous lui demandons si les locuteurs du français ont plus de chance que ceux de l’anglais, il répond à l’affirmative, parce que les locuteurs de l’anglais sont plus nombreux et que, par conséquent, d’après lui, leur langue est plus facile à apprendre. Cette réponse nous amène à évoquer le contexte francophone minoritaire dans lequel il est socialisé et où l’anglais est prégnant. En effet, s’il croit que les locuteurs du français ont plus de chance, c’est probablement parce que, autour de lui, ceux qui parlent français parlent également anglais, alors que les locuteurs de l’anglais n’ont pas nécessairement de connaissances du français. Il fait donc preuve d’une ouverture intéressante à la diversité linguistique, une telle ouverture n’apparaissant pas clairement dans ses résultats au questionnaire. Il est également intéressant de noter qu’il se permet d’alterner entre l’anglais et le français dans son discours.

De son côté, Alicia souligne que, pour elle, l’égalité des langues renvoie à l’unicité de chacune d’elle, mais elle met également en avant quelques traits linguistiques qui caractérisent les langues.

Expérimentateur : Puis, est-ce qu’il y a d’autres choses qui te viennent en tête quand tu dis que les langues sont égales ?

Alicia : Elles sont un peu différentes. Comme prononcées différemment aussi.

Expérimentateur : Et t’en penses quoi de ça, que les prononciations soient différentes ?

Alicia : Je sais pas.

Si les langues sont uniques aux yeux d’Alicia, il semble donc que ce soit en raison des traits linguistiques qui diffèrent d’un idiome à l’autre. Il est intéressant que, bien qu’elle fasse mention de différences interlinguistiques, elle ne s’arrête guère aux similitudes, le français et l’anglais en partageant pourtant un grand nombre. Au moment où nous lui demandons si les locuteurs du français ont plus de chance que les locuteurs de l’anglais, elle nous répond que ce sont les personnes qui connaissent les deux langues qui sont les plus chanceuses.

Expérimentateur : Est-ce que les personnes qui parlent français ont plus de chance que celles qui parlent anglais ?

Alicia : If you’re bilingual, comme ça.

Expérimentateur : Donc, d’après toi ?

Alicia : Un peu, oui. Car si tu veux un job pis tu sais les deux langues, et une personne parle en français, tu peux lui parler.

On note donc qu’Alicia, qui alterne aussi les codes, considère l’utilité des langues en termes de perspectives d’emploi. Elle mentionne tout de même que la connaissance du français peut l’amener à entrer en interaction avec un locuteur de cette langue.

Discussion

Les résultats issus de notre analyse des représentations des langues de nos participants ne permettent pas de comprendre leur rôle dans le développement de la compétence liée à l’accord du verbe en nombre à l’écrit. En effet, parce que les élèves semblent pratiquement tous ouverts à la diversité linguistique et curieux face à l’apprentissage des langues, il devient compliqué de statuer sur l’influence de ces représentations sur le développement de la compétence ciblée. Certains élèves, comme Kate et Isaac, font partie du groupe de scripteurs le plus faible, mais témoignent de représentations relativement positives à l’endroit des langues. Eu égard aux scripteurs du groupe fort (p. ex., Sabrina), ils semblent également valoriser la diversité linguistique et l’apprentissage des langues ; par conséquent, le lien qui unit les représentations sociales des langues et la compétence permettant l’accord verbal, dans notre étude, demeure imprécis. Cela peut probablement être expliqué par les éléments de représentations sur lesquels nous nous sommes penchés, ces derniers demeurant généraux et ne touchant pas précisément la grammaire et l’orthographe. Cela étant, si on considère, à l’instar de plusieurs (Lory, 2015; Moore, 2006; Castellotti et Moore, 2002; Müller, 1995), que la construction de représentations positives à l’égard des langues et du plurilinguisme joue sur les dimensions cognitives et langagières impliquées dans le processus d’apprentissage, notamment orthographique (Fleuret et Armand, 2012), on ne peut que se réjouir en constatant l’ouverture et la curiosité dont font montre nos élèves vis-à-vis des cultures et des langues qui les véhiculent. Il convient au demeurant de souligner que de nombreux facteurs peuvent façonner le développement d’une compétence linguistique et que c’est en les prenant holistiquement en considération qu’on arrivera à bien le décrire.

Concernant les représentations sociales des langues, la question que l’on pourrait se poser est la suivante : comment se fait-il que nos participants fassent preuve de représentations aussi positives ? D’après nous, la réponse se trouve en grande partie dans le contexte francophone minoritaire plurilingue par l’entremise duquel ils sont socialisés aux langues et aux cultures. Car, rappelons-le, ces huit élèves sont quotidiennement exposés à un minimum de deux langues et, dans cette optique, le plurilinguisme qui caractérise leur milieu sociolinguistique n’est guère un fait isolé et marginal : il constitue l’essence même d’une majorité de leurs échanges linguistiques, l’idéal monolingue standardisé, largement utopique en milieu minoritaire, étant surtout imposé par et pour l’école (Bélanger, 2007; Labrie, 2007). Il est d’ailleurs intéressant de souligner que, malgré l’omniprésence de l’anglais dans leur milieu, la plupart des participants ne confère pas de statut privilégié à l’idiome dominant. Dans cette perspective, on peut aussi constater le plurilinguisme de nos participants dans plusieurs de nos extraits de verbatim, dans le cadre desquels certains d’entre eux se permettent aisément une alternance de codes et se promènent régulièrement entre le français et l’anglais. Cette alternance, en fait, ne renverrait guère à une paresse cognitive ou à un manque de connaissances des langues en interaction, elle constitue surtout une manifestation potentielle du langage, une ressource à mobiliser et une compétence à développer dans l’interaction, à des fins communicationnelles (Stratilaki et Bono, 2006). Il n’est d’ailleurs pas surprenant, en définitive, que nos participants, qui font preuve d’ouverture à l’endroit de la diversité linguistique et qui ne considèrent généralement pas la pluralité linguistique comme un frein à l’apprentissage des langues, adoptent des pratiques discursives plurilingues en entrevue.

Conclusion

Non seulement les élèves de notre étude sont-ils plurilingues, ils se sont également construit des représentations positives à l’égard des langues. Il semble donc important que les pratiques pédagogiques qui sont mises en place à l’école pour les soutenir dans le développement de connaissances linguistiques tiennent compte de leur identité linguistique hybride, qu’elles la valorisent, voire qu’elles la mettent à profit. Rappelons-le, c’est à partir de ses connaissances linguistiques, aussi plurielles soient-elles, que l’élève s’approprie la langue de l’école (Moore, 2006) et, donc, il importe de les positionner au coeur des pratiques pédagogiques. Un tel changement de posture nécessite toutefois une redéfinition de la mission homogénéisante de l’école francophone en milieu minoritaire (Cavanagh, Cammarata et Blain, 2016), qui se définit désormais dans l’hétérogénéité, et requiert du personnel enseignant qu’il considère la langue et la culture francophones de façon prospective. Dit autrement, il conviendrait que l’élève ne soit plus perçu comme un agent de reproduction d’une langue et d’une culture déjà existantes, mais bien comme le producteur d’une culture francophone nouvelle, plurielle, dans laquelle tous sont équitablement reconnus (Gérin-Lajoie, 2010).

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