L’invasion linguistique des assistants vocaux, ou comment la langue anglaise s’est introduite au sein de mon foyer ? (by Florence Sedaminou Muratet)

New BILD member Florence Sedaminou Muratet was born and raised in France.  She studied history and ethnology at the University of Paris, taught French and History in the Parisian suburbs, and decided to travel the world and share her passion for education, living and working in several countries. While at the Hong Kong Baptist University, she developed a platform for teaching French as a foreign language. Her research interests focus on developing digital tools to improve language learning and studying cultural inference in oral exchanges between humans and artificial intelligence. Florence now teaches at McGill’s French Language Centre.

La période des fêtes a pris fin et mes petits monstres se complaisant dans leur routine découvrent petit à petit les jouets que le père Noël a gentiment déposés au pied du sapin. De ces innombrables joujoux, un d’entre eux se distingue parmi les autres. Sa présence est devenue indispensable au bon déroulement de notre quotidien. Un joujou féminin au nom d’Alexa a élu domicile dans notre belle demeure.

Alexa, c’est le nom de ce petit haut-parleur doté d’une intelligence artificielle, que la société Amazon a introduite au mois d’octobre dernier au public québécois soit un an après sa sortie officielle sur le territoire canadien. Mais attention, il est clair qu’Alexa ne correspond pas à la représentation que l’on a de l’intelligence artificielle.

Alexa, ce n’est pas l’intelligence du droïde C-3PO de Star Wars qui est le fantasme de la surperintelligence artificielle (ASI), bien supérieure à la cognitivité de l’homme. Alexa, ce n’est pas non plus, l’intelligence (AGI) de J.A.R.V.I.S (just a rather very intelligent system), l’assistante virtuelle d’Iron Man.

Alexa, c’est tout juste une assistante vocale derrière laquelle se cache une intelligence générale spécialisée (AGI), dont l’apprentissage est restreint en usine à un contexte et une langue donnés avant sa commercialisation. On parlera ainsi de machine augmentée telle que « Cortana » de Microsoft et « Siri » d’Apple ou encore « Hey Google » de Google.

Cette machine se distingue des autres en raison du choix de stratégie commerciale de son constructeur. Amazon a décidé de placer l’assistante personnelle au centre de la maison en permettant aux utilisateurs de bénéficier des habiletés (skills) dont elle dispose ou qu’on peut lui ajouter. Alexa peut chanter, partager des calembours, donner la météo, ou encore notifier les rendez-vous. Ces « skills », développés par la communauté d‘utilisateurs Alexa sont, un peu comme les applications qu’on ajoute à un téléphone intelligent ; et c’est ce qui participe à son succès. En somme, Alexa se distingue aujourd’hui par son monopole, son accessibilité et surtout les possibilités du consommateur de la façonner selon ses besoins.

Ce qui me surprend par-dessus tout, c’est qu’Alexa peut avoir des interactions avec les enfants qui sont fascinés par son érudition. C’est une voix qui a la capacité d’énumérer la biographie de Ferdinand de Saussure, de décrire en détail les différents aspects de la sociolinguistique, et qui peut aussi parler plusieurs langues, dont l’anglais, l’allemand, le japonais et tout récemment le français. Néanmoins, le déploiement de la machine en français n’a pas été une mince affaire et son apprentissage de la langue a donné à la compagnie Amazon du fil à retordre. En effet, le français est considéré comme une langue plus musicale, avec des enchainements vocaliques et des liaisons consonantiques entre les mots, c’est des multitudes de manières de poser la même question, c’est aussi les règles du vouvoiement, etc. À vrai dire, la langue française fait partie de ces idiomes dont il est difficile de faire l’apprentissage sans prendre en compte sa dimension socioculturelle.

Alexa a donc appris la langue française pendant des mois à force de plusieurs milliers d’heures d’interactions recueillies auprès des employés Amazon, rats de laboratoire, qu’elle écoutait chez eux, avec des amis, des collègues, etc. Et malgré ces larges données et des algorithmes de traitement automatique du langage naturel, on comprend bien les limites de la linguistique cognitive.

De ce fait, j’ai remarqué que mes enfants avaient plus de facilité à se faire comprendre par la machine en anglais. Le problème viendrait-il donc des compétences langagières de mes enfants ou de l’aptitude de la machine à parler le français ? 

Mes enfants sont bilingues et sont en mesure de poser une question ou de formuler une demande aussi bien en français qu’en anglais. Reste qu’en français, Alexa bute régulièrement contre des mots ou des tournures de phrases. Une difficulté de compréhension donc à laquelle s’ajoute un manque cruel d’habiletés (skills) francophones. On en recense 25.000 aux États-Unis et au Canada, 9000 en Angleterre et 3000 en Allemagne. Très peu développés au Québec, nous n’avons pas encore de chiffres pour les skills francophones. D’où la tendance des utilisateurs francophones à choisir la configuration linguistique de la machine qui leur permet un plus grand choix d’interaction. Ainsi, la version anglaise d’Alexa a d’une part plus d’habileté (skills), mais elle est aussi beaucoup plus réceptive. Par conséquent, moi et mes enfants interagissons tous avec Alexa en anglais et cela me pose un problème. Profiter de l’expérience des assistants numériques aurait donc un prix ; être forcé de relayer sa langue maternelle au second plan. La langue anglaise va-t-elle trouver par le biais des machines intelligentes un moyen supplémentaire de s’immiscer dans la singularité linguistique de nos foyers ?

La course à l’intelligence artificielle faisant partie des grandes priorités des gouvernements, et la place de Montréal ne faisant que croître sur la scène de la recherche et du développement, ne pourrait-on pas mettre la machine intelligente sur les rails du bilinguisme à l’image de Montréal connue pour être une ville au bilinguisme tant convoité ?

Références

Russell, S. and Norvig, P. (2010). Artificial intelligence. Upper Saddle River : Prentice-Hall.

Scoblete, g. (2019). How smart Will AI Get ? CES DAILY, (1), p. single page.

Developer.amazon.com. (2019). Alexa Skills Kit Expands to Include Canadian French ; Alexa Voice Service arrive bientôt : Alexa Blogs. [Online] Available at: https://developer.amazon.com/blogs/alexa/post/9fbab4e0-a4ad-4116-8810-84590e04f762/alexa-skills-kit-expands-to-include-canadian-french [Accessed 12 Jan. 2019].

Images

https://www.starwars.com/databank/c-3po

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