Les approches plurilingues: plaidoyer aux futurs enseignants et enseignantes FLS pour trouver leur marge de manœuvre (by Dr Catherine Levasseur)

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Inspirée par les billets de Caroline Dault et de Kathleen Green à propos des choix que les sociolinguistes/enseignants font dans le cadre de leur enseignement des langues secondes au Québec, je me suis demandé comment je négociais les normes et les politiques linguistiques en classe de français langue seconde (FLS), traditionnellement ancrées dans l’idéologie monolingue. Je suis sociolinguiste, enseignante de langues secondes, en plus d’agir en tant que professeure et formatrice de futurs enseignantes et enseignants de langues. J’essaie dans ma pratique d’adopter des approches plurilingues, de les appliquer en salle de classe et surtout, de convaincre de leur utilité dans les cours de français au Québec et en contexte francophone minoritaire.

Dans ce billet, je m’adresse à vous, futurs ou jeunes enseignantes et enseignants FLS, vous qui n’osez pas encore tester, mettre en place ou adopter des approches plurilingues dans vos salles de classe. Je m’adresse à vous, parce que je vous comprends. Je m’adresse à vous, parce que je sais que ce que l’on vous demande n’est pas toujours facile à appliquer. Je m’adresse à vous, parce que je connais vos hésitations. Je m’adresse à vous, parce que je sais que vous avez tout le potentiel pour y arriver. Je m’adresse à vous, parce que j’ai confiance en vous. Je m’adresse à vous, parce que comme Michel Candelier me l’a gentiment rappelé cette semaine, ce n’est pas grâce à moi, mais bien grâce à vous, la prochaine génération, que les choses pourront changer. Chers futurs et jeunes enseignantes et enseignants de français, ce plaidoyer est pour vous.  

Comme vous, moi et d’autres l’ont constaté, il est encore difficile au Canada d’appliquer en classe de langues les approches plurilingues (Dagenais, 2017; Dault et Collins, 2017; Galante, 2018; Thamin, Combes et Armand, 2013). Plusieurs obstacles se dressent devant vous : le trop peu de matériel pédagogique développé et adapté au contexte canadien; les croyances des enseignants qui vous forment et vous côtoient; les attentes des apprenants de langue seconde, habitués aux approches monolingues en FLS; le peu de formation offert aux enseignants, etc. À ces obstacles s’ajoute celui que je considère le plus difficile à combattre : les politiques linguistiques en vigueur dans les écoles et les centres de langues.

1 “En français à l’école” de Amy (6 ans), tiré de Levasseur (2017)

En effet, comme je l’ai moi-même vécu et je l’observe encore, vous risquez fort de vous trouver dans des milieux de stage et de travail où les idéologies, les politiques et les pratiques linguistiques monolingues vous sont imposées comme étant les « bonnes » et les « seules » acceptables au sein de votre institution et dans le cadre de votre métier. Vous serez exposés à des pratiques enseignantes qui valorisent le « français seulement », au détriment des autres langues de vos apprenants. Ces pratiques s’expliquent largement par des philosophies et des idéologies linguistiques dominantes; par des pratiques courantes reproduites années après années; par des contextes sociaux et linguistiques qui favorisent la revendication d’espaces protégés pour le français; ainsi que par les croyances individuelles des enseignantes et enseignants. Ceux-ci souhaitent le meilleur pour les apprenants et estiment en général que les approches plurilingues sont, au mieux, inutiles ou, au pire, un obstacle à l’apprentissage du français. Enfin, pour plusieurs enseignantes et enseignants (peut-être est-ce votre cas), il semble impossible de déroger du modèle monolingue en place dans les écoles et les centres de langue, puisqu’ils sont convaincus qu’il leur est interdit de le faire.

Dans ce contexte, je crains que vous ayez tendance à adopter les valeurs et les croyances dominantes au sein de votre milieu de travail et que vous abandonniez vos idées ou vos projets de pédagogies plurilingues.  Je crains que les approches plurilingues deviennent pour vous un doux rêve d’une professeure « pelleteuse de nuages » qui ne comprenait pas grand-chose à la réalité du terrain scolaire.

Est-il possible que la recherche, pourtant prometteuse, inspirante et florissante sur le sujet, vous laisse indifférents? Ce pourrait-il que pour vous convaincre, il vous faudrait davantage de modèles de praticiens ayant appliqué ces approches avec succès auprès de leurs apprenants de français au Québec ou en contexte francophone minoritaire? Peut-être auriez-vous besoin de soutien de mentors qui auraient pavée la voie? Sans doute vous demandez-vous par où commencer pour amorcer avec confiance et enthousiasme ce virage nécessaire en enseignement des langues secondes?

À défaut d’avoir des mentors ou des modèles à observer, je considère que votre planche de salut réside dans la recherche de votre marge de manœuvre, au sein d’institutions qui ne vous en laisseront pas beaucoup. Cela veut dire commencer par intégrer de petits gestes, tels qu’accueillir les langues de vos élèves avec un intérêt sincère, sans les sanctionner. Faire un effort pour rendre visible vos propres langues, afin d’encourager vos apprenants à partager les leurs. Planifiez des espaces et des moments où vous pourrez d’abord exposer vos apprenants aux langues du monde, où vous pourrez ensuite accepter la présence des langues de vos apprenants dans votre salle de classe, puis où vous serez en mesure d’encourager l’usage d’autres langues que le français pour la réalisation de certaines tâches. Il s’agit en fin de compte d’intégrer peu à peu les principes des approches plurilingues afin d’en arriver à élaborer des activités qui mobiliseront le répertoire linguistique complexe de vos apprenants. Ainsi, cela vous permettra de vous initier, ainsi que vos élèves, aux approches plurilingues. Vous pourrez tous vous y habituer, prendre confiance et, je l’espère, vous rendre compte que les approches plurilingues en FLS, c’est possible.

2 “Je t’aime plurilingue” en salle de classe maternelle ©Levasseur, 2019

Rappelez-vous que les approches plurilingues consistent en une diversité de principes, de démarches et d’outils qui se situent sur un continuum qui va de l’éducation au plurilinguisme à l’éducation par le plurilinguisme.

3 Continuum des approches plurilingues ©Levasseur, 2019

J’estime que pour réussir à adopter des pratiques plurilingues en classe, il vous faudra considérer l’ensemble de ces approches et les sélectionner en fonction de votre contexte, de vos besoins et de ceux de vos apprenants. S’il est insuffisant à mon sens de se contenter de mener des activités qui se situent au pôle de l’éducation au plurilinguisme, des activités inspirées de ces approches sont une bonne manière de s’exercer, de prendre confiance et de développer des pratiques plurilingues en classe FLS.

Aux futurs enseignants et enseignantes de FLS, voici ce que je souhaite que vous reteniez: même si ferez face à des obstacles et que vous serez à plusieurs égards découragés d’adopter des pratiques plurilingues en stage ou au début de votre carrière, je crois sincèrement que vous pouvez y arriver, petit à petit. Vous représentez le renouveau en éducation, une force d’innovation qui sera susceptible de changer les pratiques pédagogiques en place. Adopter des approches plurilingues n’est pas une menace à votre métier, à votre identité de professeur de français, ni à la survie de la langue française.

J’espère que sur votre chemin, vous aurez la chance de rencontrer d’autres professeurs et enseignants inspirants qui vous encourageront aussi à valoriser les pratiques plurilingues en classe FLS. Seul le temps me dira si les semences plantées aujourd’hui sauront éclore en des pratiques plus respectueuses de la diversité linguistique en classe FLS, mais j’ose y croire.

References:

Dagenais, D. (2017). Tensions autour de l’enseignement des littératies plurielles en milieu minoritaire. Éducation et francophonie, 45(2). doi: 10.7202/1043526ar

Dault, C. et Collins, L. (2017). Comparer pour mieux comprendre : Perception d’étudiants et d’enseignants d’une approche interlangagière en langue seconde. Language Awareness, 26(3), 191-210. doi: 10.1080/09658416.2017.1389949

Galante, A. (2018). Plurilingual or monolingual? A mixed methods study investigating plurilingual instruction in an EAP program at a Canadian university (Thèse de doctorat, University of Toronto, Toronto, ON). Repéré à http://hdl.handle.net/1807/91806

Levasseur, C. (2017). “Moi j’suis pas francophone!”: Discours, pratiques langagières et représentations identitaires d’élèves de francisation à vancouver. (Thèse de doctorat, Université de Montréal). Repéré à http://hdl.handle.net/1866/19997         

Thamin, N., Combes, É. et Armand, F. (2013). Tensions discursives autour de la prise en compte de la diversité linguistique dans les écoles montréalaises. Dans S. Galligani, S. Wachs & C. Weber (dir.), École et langues. Des difficultés en contexte (p. 17-40). Paris, France: Riveneuve.

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