Enseigner le français, oui, mais quel français ? (by Caroline Dault)

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C’est le premier cours. Ils sont nombreux à vouloir apprendre le français. À avoir envie d’interagir avec les gens qu’ils rencontrent dans cette ville où ils ont pour la plupart décidé de s’établir le temps de leurs études – ou d’une seule session, c’est selon. Certains connaissent déjà quelques mots, bien sûr. « Bonjour! », « ça va? ». Ils sont curieux devant cette langue qu’ils entendent depuis quelques jours, quelques semaines, quelques mois. La prof, enjouée, leur donne leurs premières clés. « Je m’appelle X ». « Je suis Québécoise. Tu es Coréen? ». Une main se lève : un étudiant aux oreilles affutées explique, en anglais – évidemment, qu’il a entendu une autre prononciation pour « je suis », qu’on lui a expliqué qu’elle était propre au Québec.

« Déjà!? », pense la prof. Elle lui demande : « Chuis ? Chus? »

« Yes, something like that. »

Et la prof s’interroge. C’est le premier cours d’une session qui sera bien chargée. Des étudiants, tout au fond de la classe, semblent déjà en surcharge cognitive. Dépassés parce qu’eux, ils découvrent réellement le verbe « être » pour la première fois. Contrairement à d’autres, ils n’ont pas encore entendu d’« au revoir » ou de « comment allez-vous? ». Peut-être parlent-ils une langue dans laquelle le verbe ne se conjugue pas, peut-être leurs connaissances en anglais ne leurs permettent-elles que difficilement de suivre ces premières explications grammaticales sur le français. La prof se demande si elle doit répondre à la question de l’étudiant, au risque d’en perdre quelques autres.

À partir de quel moment dans l’apprentissage d’une langue seconde doit-on enseigner le vernaculaire, la langue courante ?

Si cette question, je me la pose depuis mes débuts en enseignement, mon premier cours de la session d’hiver m’a rappelé à quel point il est urgent que j’y réponde.

Dans le cadre des cours offerts aux immigrants, la réponse est plus évidente. En effet, l’apprentissage de la langue se pose comme condition à l’intégration de ces néolocuteurs, et « la variété langagière à laquelle l’étudiant est exposé et sensibilisé en classe joue un rôle considérable pour développer une compréhension orale (CO) efficace » (Veilleux, 2011).

D’ailleurs, le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion penche résolument vers la présentation des phénomènes phonologiques et morphosyntaxiques propres à la langue de tous les jours dès le premier niveau. On retrouve donc dans le programme-cadre (2011) la question sans inversion, avec mot interrogatif en fin de phrase « Tu viens d’où ?» présentée au même titre que sa variante normative « D’où viens-tu ? », ainsi que la chute du e dans le pronom je devant consonne sonore (ex : « J’vois mon ami! ») dans le volet compréhension orale du niveau 1.

Or, dans mon milieu d’enseignement, un milieu universitaire anglophone, les étudiants ne sont souvent que de passage en sol québécois, parfois même pour une seule session. Leur désir d’apprendre le français ne répond pas forcément à un besoin d’intégration. Leur café, ils le commandent en anglais, et basta. Dans ces cours, où l’on testera rapidement les étudiants sur leur capacité à produire des énoncés grammaticalement corrects, la langue vernaculaire a-t-elle également sa place dès le niveau débutant? S’il me semble assez logique d’offrir à mes étudiants un minimum de soutien dans la compréhension des particularités de la langue courante québécoise telle que l’absence du « ne » dans la négation à l’oral, je ressens toujours un certain mélange de malaise et de fierté quand je m’aperçois qu’ils imitent, inconsciemment, l’affrication que je produis naturellement quand je prononce, par exemple, « tu » (tsu) ou « petit » (petsit).

D’ailleurs, quel vernaculaire devrait-on enseigner en CO ? Le mien est teinté de l’ensemble de mes expériences, de la ville où j’ai grandi aux cercles sociaux dans lesquels j’ai évolué. Celui que je considère être le plus commun à Montréal? Il reflètera encore et toujours mon expérience du monde, puisque je ne peux avoir la prétention de connaitre les prononciations ou expressions en cours pour l’ensemble de la population d’une ville, même en l’habitant. Par exemple, j’ai récemment appris grâce à mon filleul que les jeunes ne semblent plus conjuguer les verbes issus de l’anglais, alors qu’il me disait qu’il a smack sa blonde mais qu’ils ne se sont pas encore embrassés, le premier désignant un bec et le second, un « french ». Ah bon?!  Dans la leçon sur les transports, est-ce que je devrais dire à mes étudiants qu’au Québec, on prend le bus ou la bus? Nous, en Outaouais, on appelait ça le bus, qu’on prononçait bosse, à l’anglaise. J’ai le droit de leur enseigner ça? Certes, c’est à moi de choisir si je le prends ou non, ce droit, mais il n’en demeure pas moins que les attentes liées à mon cadre d’enseignement sont que je forme les étudiants à maitriser la norme linguistique avant tout. Par ailleurs, si je ne suis pas à même de répertorier tous les phénomènes phonétiques ou morphosyntaxiques de ma propre langue, dans ma propre province, il me semble parfois risqué de m’attaquer aux variétés de vernaculaires provenant d’ailleurs dans la francophonie, qui pourraient pourtant leur être éventuellement utiles!

Devant la question de son étudiant, la prof inspire et sourit.

« It is true that in Quebec, in oral informal contexts, we tend to say « chuis » or « chus ». In this course, I will try to present you with some varieties frequently used in oral French in Quebec.

Quand on y pense, enseigner, c’est aussi un peu partager sa vision du monde. Si ma question demeure partiellement sans réponse quant au moment et à la méthode à privilégier pour l’enseignement du vernaculaire aux étudiants de passage au Québec qui remplissent ma classe, elle a suscité chez moi une réflexion plus profonde encore. Comment, d’une part, me baser sur ma connaissance du monde francophone pour outiller mes étudiants tout en, d’autre part, allant au-delà de ma propre expérience du monde et de la langue?

Heureusement, se poser des questions, c’est parfois encore plus important que de trouver des réponses.

Et vous, comment s’articulent vos choix quant à l’enseignement du vernaculaire en langue seconde?

Références :

Ministère de l’Immigration et des Communautés Culturelle (2011) Programme-cadre de français pour les personnes immigrantes au Québec. Gouvernement du Québec. Montréal : Canada.

Veilleux, É. (2011). Comprendre le vernaculaire pour s’intégrer. Québec Français (163), 61-63.

One thought on “Enseigner le français, oui, mais quel français ? (by Caroline Dault)

  1. Je suis tout à fait d’accord avec toi Caroline, quand tu écris qu’enseigner, c’est “partager sa vision du monde”. Et je pense que la meilleure façon de le faire, c’est d’être honnête et d’expliquer à nos étudiant.e.s d’où viennent nos façons de parler, notre vocabulaire, nos idiomes et de partager notre histoire avec eux/elles.
    J’ai grandi dans le sud de la France jusqu’à mes 25 ans, mais c’est d’abord en Ontario, puis en Colombie-Britannique que je suis devenue prof de français. Le français que je parle reflète mes origines autant que mon parcours, et j’aime partager mon histoire avec mes étudiant.e.s à ce sujet. Cela m’aide de me mettre à leur place en comparant leur parcours d’apprentissage du français à mon parcours d’apprentissage de l’anglais. J’ai appris l’anglais au Canada. Les voyages que j’ai faits aux États-Unis, en Angleterre ou plus récemment en Nouvelle Zélande m’ont surprise car si je me considère aujourd’hui complètement bilingue, j’ai découvert dans ces pays des expressions, des accents et des mots que je ne connaissais pas et qui ont souligné l’importance pour moi de considérer nos langues dans leurs contextes dynamiques, vivants et jamais fixes!

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