Persévérance scolaire de jeunes et jeunes adultes nouveaux arrivants haïtiens face aux besoins d’encadrement institutionnel à Montréal


VENUS DARIUS, Université Libre de Kinshasa/ Institut des Sciences, des Technologies et des Études avancées d’Haïti

RÉSUMÉ. Cet article, basé sur les résultats de notre recherche doctorale, vise à comprendre l’impact de l’encadrement institutionnel sur l’abandon scolaire de jeunes et jeunes adultes d’origine haïtienne au secondaire et au niveau de l’éducation des adultes à Montréal. L’analyse thématique des entrevues semi-dirigées de sept participants et la discussion des résultats indiquent que l’encadrement scolaire et l’encadrement sociopolitique doivent constituer deux axes majeurs d’un vrai processus d’amélioration de la persévérance scolaire chez ces nouveaux arrivants. Les témoignages recueillis portent sur la nécessité d’adopter des mesures pour, entre autres, rendre l’éducation interculturelle plus efficace et favoriser l’homogénéisation du test de classement. Les résultats mettent en évidence l’importance d’une structure d’aide socioéconomique du gouvernement du Québec pour la persévérance scolaire de ce groupe ethnique et sa réussite socioculturelle. Les participants souhaitent aussi une influence plus éducative des médias de masse sur la conscience de leurs pairs d’origine haïtienne à Montréal.

ABSTRACT. This article, based on the results of my doctoral research study, aims to understand the impact of institutional leadership on youth and young adult high school dropouts from Haiti who are newcomers to Montreal. Thematic analysis of semi-structured interviews of seven participants and discussion of the results indicates that school supervision and sociopolitical support should constitute two major axes of a real process of improving student perseverance among these newcomers. The testimonies focused on the need to adopt measures to, among others, make it more effective intercultural education and promote the homogenization of the school placement test for newcomers. The results highlight the importance of socio-economic structural aid of the government of Quebec for the perseverance of this ethnic group and its socio-cultural success. Participants also desired a more educational influence of mass media on the conscience of their peers from Haiti in Montreal.

Mots-clés : Persévérance scolaire, Haïtiens, nouveaux arrivants, encadrement institutionnel.

Introduction et problématique

Le Québec est, selon les données officielles disponibles, la principale province d’attraction des Haïtiens d’origine immigrée au Canada. La population haïtienne au Québec s’élève à plus de 119,185 personnes. Plus de 116,635 de ces dernières, soit 97,9 %, s’établissent à Montréal (Statistique Canada, 2010). Cette plus grande fraction de la population immigrante noire de cette ville est sérieusement affectée par la problématique de l’abandon scolaire. (Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 2005).

Le problème de l’abandon scolaire s’étend à plusieurs générations de ce groupe ethnique (Mc Andrew et Ledent, 2012) dont l’établissement au Québec remonte à plusieurs décennies (Statistique Canada, 2007). Dans le souci de mieux circonscrire l’objet d’étude, l’accent est particulièrement mis sur la première génération en essayant de comprendre le processus du départ prématuré des jeunes et des jeunes adultes du milieu scolaire.

Les études réalisées en ce sens font état de plusieurs facteurs qui influencent la persévérance scolaire des nouveaux arrivants haïtiens. Les conditions économiques des familles d’accueil, leur niveau scolaire et culturel, leur réseau de connaissances et de contact social sont des paramètres à privilégier dans le parcours scolaire de ces migrants si on veut les empêcher de prendre le chemin de l’abandon scolaire.

Parallèlement à ces facteurs axés fondamentalement sur la famille d’accueil, plusieurs chercheurs ont mis l’accent sur l’importance de l’encadrement institutionnel dans la persévérance et la réussite socioprofessionnelle des nouveaux arrivants originaires des Caraïbes au Québec. Le facteur d’encadrement institutionnel dans les recherches de Lafortune et Balde (2012) se rapporte aux problèmes psychopédagogiques de certaines écoles, à l’incapacité de certains enseignants à bien communiquer le contenu de leur enseignement et au mauvais classement des nouveaux arrivants haïtiens (Thésée, 2003). Aussi, le Rapport Chancy (1985) et celui du Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2014) ont-ils prôné la nécessité d’une éducation inclusive au Québec. Toutefois, il reste encore du chemin à parcourir en vue de l’application de cette recommandation.

En nous basant sur l’importance démographique de la communauté d’origine haïtienne dans cette province et les données des recherches consultées, nous sommes amenés à centrer cette étude sur l’importance de l’encadrement institutionnel dans la persévérance scolaire des jeunes et jeunes adultes de cette population à Montréal en particulier.

D’où la question de recherche suivante : comment comprendre l’importance de l’encadrement institutionnel dans le processus psychosocial du départ prématuré de certains nouveaux arrivants haïtiens au secondaire et au secteur des adultes à Montréal? La recherche empirique auprès de cette communauté nous apportera les éclairages nécessaires sur cette question et une meilleure documentation des thématiques ciblées.

Cadre Conceptuel

Dans cette section, il est question, d’une part, de faire la lumière autour des nuances de certains concepts de la recherche et de présenter une recension des travaux scientifiques consultés dans la perspective de mieux cerner la problématique et de bien préparer la phase empirique.

Mise au point sur les divergences de certains termes du sujet

La persévérance scolaire se rapporte à la poursuite incessante d’un programme par un élève (ou un étudiant) jusqu’à ce qu’il obtienne le diplôme sanctionnant ses études (King, 2005 ; Sauvé, Debeurme, Fournier, Fontaine et Wright, 2006). Lorsqu’on évoque le concept de persévérance scolaire, cela suppose toujours celui de décrochage scolaire, dans la mesure où moins d’abandons scolaires impliquent plus de persévérances scolaires et vice versa. Ainsi, il n’en demeure pas moins logique que l’existence de persévérants aux différents niveaux du système éducatif y présuppose celle des décrocheurs.

Nonobstant ce raisonnement, il convient de souligner que le terme de décrochage scolaire apparaît généralement dans les écrits officiels et scientifiques lorsqu’il est question du départ des jeunes du secondaire du milieu scolaire. Ce qui est contraire à celui de la persévérance scolaire dont l’usage se fait à tous les niveaux (King, 2005 ; Villemagne, 2011 ; Gouvernement du Québec, 1997).

Par ailleurs, l’emploi du terme de décrochage scolaire prête souvent à équivoque. Il est parfois assimilable à l’abandon scolaire et comporte dans d’autres circonstances des nuances non négligeables. Le décrocheur est alors, selon Statistique Canada (1995), un jeune qui a abandonné ses études bien avant d’obtenir son diplôme d’études secondaires (DES). Aux termes de cette définition, cette instance d’enquête confine non seulement le phénomène au secondaire, mais considère du même coup décrochage et abandon, dans le contexte scolaire, comme synonymes. De son côté, le Ministère de l’Éducation du Québec (2000) entend par décrochage scolaire : une interruption temporaire des études, contrairement à l’abandon qui suppose un départ durable, voire définitif.

La vision du gouvernement du Québec du décrochage scolaire ne s’arrête pas à la période de scolarité obligatoire. Elle s’étend, suivant les objectifs du gouvernement de réformer l’éducation dans la province, à d’autres niveaux d’études. Par exemple, celui relatif à l’éducation des adultes pour lequel l’octroi de ressources en vue de la persévérance et de la réussite scolaire s’est avéré nécessaire (Gouvernement du Québec, 1997).

Pour disperser la buée qui entoure la définition du décrochage scolaire, nous nous sommes inspiré, d’une part, de la conception de Statistique Canada (1995) qui ne fait guère de différence entre abandonner et décrocher dans ses considérations et, d’autre part, de celle du gouvernement du Québec (1997) qui étale son champ d’intervention à l’éducation des adultes en ce qui concerne la lutte contre le départ du milieu scolaire précocement pour en proposer une définition consensuelle.

Autrement dit, le décrocheur se rapporte dans cet article à tout élève qui abandonne le milieu scolaire de façon temporaire ou définitive sans obtenir le diplôme de fin d’études secondaires ou un autre document équivalent. Une définition large qui englobe les programmes d’éducation des adultes, notamment la Formation générale des adultes (FGA) au Québec qui permet aux jeunes et jeunes adultes nouveaux arrivants et natifs d’accéder à une certification correspondant au diplôme d’études secondaires.

La notion d’abandon scolaire est aussi porteuse de divergences quant à son estimation et son interprétation. L’absence, par exemple, de méthodes évidentes pour estimer le taux du décrochage scolaire. Le taux présenté dans beaucoup de travaux scientifiques reflète généralement la proportion d’élèves qui n’obtiennent pas leur diplôme d’études secondaires à l’âge prédéterminé (Rousseau et Bertrand, 2005). Une méthode d’estimation impeccable devrait, selon Rousseau et Bertrand, prendre en considération l’éventualité pour qu’il y ait des élèves qui reprennent une année scolaire ou qui abandonnent temporairement leurs études.

Dans cet ordre d’idées, si on écarte du rang des décrocheurs la catégorie d’élèves qui sont gradués à un âge plus avancé que prédéterminé, on aura d’importants changements dans les estimations du phénomène du décrochage scolaire. Pour une meilleure estimation de la population des décrocheurs, Rousseau et Bertrand (2005) proposent, entre autres, de décomposer le taux en fonction de plusieurs groupes d’âge pour ne pas prendre en considération les jeunes et les jeunes adultes qui ont connu un retard ou qui ont interrompu temporairement leurs études classiques.

En ce qui a trait au concept d’encadrement institutionnel, son usage dans cette étude se confine spécifiquement aux mesures d’accompagnement de certaines institutions sociales et politiques visant le soutien de la persévérance scolaire des nouveaux arrivants. Le terme de nouvel arrivant renvoie dans la littérature officielle du Canada à celui d’immigrant dans le sens large d’une catégorie hétérogène incluant notamment les réfugiés (Bils, Drover, Henley, Ibrahim, Lundy et Yan, 2010).

Dans cet article, le terme de nouvel arrivant désigne toute personne, née à l’étranger, qui vit sur une terre d’accueil à long terme ou définitivement. Une considération qui correspond à ce que Statistique Canada (2010) désigne par immigrant de première génération.

Revue de littérature

Plusieurs recherches ont démontré l’importance de certaines institutions de la société, dont l’école (par l’intermédiaire de son instance de direction en particulier) et l’État quant à certaines décisions qui peuvent impacter le rendement scolaire des nouveaux arrivants à Montréal, ceux, notamment, d’origine haïtienne (Lafortune et Balde, 2012 ; Darius et Bouchamma, 2016 ; Barbier, Olivier et Pierre-Jacques, 1984). Dans les conclusions des travaux des chercheurs, l’accent est beaucoup mis sur la non-conformité de diverses décisions, dont le processus de classement, ou de l’absence de mesures d’orientation et d’encadrement des nouveaux arrivants. Ce qui a pour conséquences, entre autres, la démotivation et le départ prématuré de ces derniers du milieu scolaire.

Lafortune et Balde (2012) ont effectué une recherche relative au cheminement scolaire d’élèves québécois originaires des Antilles, plus spécifiquement sur leurs caractéristiques personnelles, leur processus de scolarisation, leurs taux de diplomation et de décrochage scolaire. Ils ont analysé quelques données quantitatives de la base du Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) et les données qualitatives d’une recherche doctorale (Lafortune, 2012). L’analyse des données quantitatives a permis de dresser le profil de 3000 élèves, majoritairement d’origine haïtienne et l’étude multicas de onze trajectoires scolaires a apporté, entre autres, un grand éclairage en ce qui a trait à l’influence du milieu scolaire sur le parcours scolaire des élèves. L’importance des qualités professionnelles et personnelles des enseignants (l’encouragement, la patience, le respect…) a été évoquée par les participants de la recherche qualitative dans leur persévérance scolaire. Ils ont, en revanche formulé des critiques concernant, par exemple, l’attitude discriminatoire et le manque de maîtrise des matières que certains de leurs enseignants ont la responsabilité d’enseigner. Ils se sont également prononcés contre la routine de la gestion des classes et le manque d’adéquation de l’enseignement avec leurs réalités quotidiennes.

Dans l’objectif de comprendre les facteurs du processus d’abandon scolaire des nouveaux arrivants, jeunes et jeunes adultes, originaires d’Haïti vivant au Québec et à New York, une étude qualitative a été effectuée sur le vécu de 11 participants (Darius et Bouchamma, 2016). L’analyse thématique des données, issues d’entrevues semi-structurées, a permis d’établir cinq rubriques conformément à l’objectif fixé. Il s’agit du capital économique, du capital culturel, du capital social, de l’encadrement institutionnel et de quelques facteurs spécifiques associés à la démographie, à la motivation personnelle, aux lacunes de base, à l’affectivité, aux traits de personnalité et aux problèmes de comportement. S’il est certain que les facteurs du départ prématuré des jeunes et jeunes adultes de la population concernée sont nombreux, la faiblesse de l’encadrement des institutions comme l’école et l’État constitue un dénominateur commun aux témoignages de tous les participants.

Quoique publié depuis plus de trois décennies, le texte de Barbier et al. (1984), portant spécifiquement sur les causes de l’échec scolaire des Haïtiens au Québec, est encore d’actualité, eu égard à la problématique développée. Les auteurs ont effectué une analyse historique de la question. Ils ont réalisé une large recension d’écrits sur la notion d’école en Haïti et analysé les données quantitatives de plusieurs autres recherches qui ont eu lieu à Montréal pour établir les convergences et les divergences du système éducatif haïtien et de celui du Québec. Le retard scolaire, les problèmes d’intégration et les difficultés linguistiques caractérisés par le fait que la majorité des nouveaux arrivants haïtiens ne maîtrisent pas le français constituent, pour les auteurs, des facteurs institutionnels d’échec et d’abandon scolaires au sein de la population concernée.

Dans l’idée de circonscrire le problème, nous avons choisi de faire le point sur l’approche structuro-fonctionnaliste de Merton et dans une certaine mesure sur le courant effets-écoles/effets-enseignants. Selon Merton (1968), l’école et l’État sont deux institutions cardinales respectivement dans la transmission des connaissances et dans le maintien de l’ordre et le règne de la justice dans la société. Une mission qui, dans un sens ou dans un autre, influence la vie des individus.

En référence au point de vue de Merton (1968), Campeau, Sirois, Rheault et Dufort (2004) ont associé le phénomène d’abandon scolaire au défaut d’encadrement institutionnel. Autrement dit, à la faiblesse des systèmes sociaux quant à leur fonction d’intégration des jeunes.

S’agissant du courant effets-écoles/ effets-enseignants développé par plusieurs auteurs, dont Crahay (2000) et Bressoux (1994), l’attention est surtout portée sur les compétences nécessaires des directions d’école et des enseignants dans la persévérance et la réussite scolaire des élèves. Dans sa fonction de socialisation, l’école est responsable de former des individus en conformité avec les normes, les savoirs et les valeurs sociaux (Dubet et Marticelli, 1996, cités par Crahay, 2000).

Dans cette recherche, la dimension « effets-enseignants », considérée comme un sous-thème de « effets-écoles », est privilégiée, puisque l’on tient compte que l’élaboration de programmes d’éducation interculturelle pour l’intégration des élèves migrants suppose la formation appropriée des maîtres (Bouchamma, 2009).

En effet, l’interaction entre les enseignants et les élèves revêt une importance majeure dans un contexte d’éducation interculturelle. Il est fondamental que les élèves comprennent et réagissent par rapport aux actions et questions pour lesquelles ils sont ciblés, ce qui donnera la possibilité aux enseignants d’évaluer leur travail et de s’ajuster à leurs besoins (Toussaint, 2010).

Les écrits scientifiques et les approches théoriques mis en relief dans cette section s’accordent sur l’importance de l’encadrement de l’école et de l’État dans la persévérance scolaire des nouveaux arrivants d’une façon relativement large. Les enjeux de persévérance et de réussite scolaire sont, dans une certaine mesure, similaires pour tous les nouveaux arrivants (Kanouté et Lafortune, 2011). Toutefois, nous voulons aller plus en profondeur dans cette recherche pour comprendre la spécificité de l’importance de l’encadrement institutionnel (scolaire et sociopolitique) dans la trajectoire scolaire des élèves nouvellement arrivés d’Haïti au secondaire et au secteur des adultes à Montréal.

Cadre méthodologique

Les données empiriques utilisées dans cet article sont extraites de celles de notre thèse doctorale à l’Université Laval s’intitulant : La persévérance scolaire des immigrants haïtiens de première génération au Québec et à New York (Darius, 2016).

Les participants ont été sélectionnés sur une base volontaire. Il s’agit de sept jeunes et jeunes adultes nouveaux arrivants originaires d’Haïti, dont cinq hommes et deux femmes vivant à Montréal. Ils parlent au moins l’une des deux langues officielles d’Haïti : le créole le français. Ils ont tous eu, dans l’intervalle de 15 à 34 ans, l’expérience du décrochage scolaire au secondaire ou au niveau de l’éducation des adultes. Au moment de la collecte des données, ils étaient, néanmoins, âgés de 18 à 38 ans.

La méthode de collecte de données est l’entrevue semi-structurée. Un guide d’entrevue de deux parties a été élaboré. Les questions de la première partie s’articulent autour du vécu scolaire des participants et de la dynamique de leur départ prématuré du milieu scolaire. Tandis que celles de la seconde se rapportent à leur perception générale sur le rendement scolaire des jeunes et jeunes adultes nouveaux arrivants haïtiens à Montréal. Outre le guide d’entrevue, une affiche de recrutement et un formulaire de consentement ont été conçus pour la tenue de la recherche. Tous ces instruments ont été rédigés en créole haïtien et en français. Des copies de l’affiche ont été collées ou distribuées dans des espaces socioculturels de grande fréquentation, notamment des écoles, des universités, des églises et des associations socioculturelles. Les volontaires avaient pris connaissance du contenu du formulaire de consentement au moins huit jours avant l’entrevue.

La recherche s’étendait de septembre 2013 à août 2014 et la tenue des entrevues a été d’une durée maximale d’une heure et demie. Le formulaire de consentement, l’affiche de recrutement et le guide d’entrevue ont été rédigés en créole haïtien et en français. Équipés de notre appareil d’enregistrement, nous avons visité plusieurs espaces fréquentés par les immigrants haïtiens. Particulièrement des milieux sociaux de promotion de la culture haïtienne, d’activités d’intégration et d’encadrement des nouveaux arrivants au Québec.

L’analyse thématique est la méthode retenue pour l’analyse du corpus des données de la recherche. L’encadrement scolaire, l’encadrement sociopolitique et l’influence des médias sont les trois thèmes avec lesquels le classement, la réduction et l’analyse des données ont pu être effectués. Ces trois thèmes sont généralement divisés en sous-thèmes présentés de façon détaillée dans la section des résultats.

Les participants qui ont pris part à cette recherche ont préalablement signé un formulaire de consentement et toutes les précautions relatives aux enquêtes sur les êtres humains ont été prises (Darius, 2016). Pour la confidentialité de leur identité, ils sont surnommés : Prinsa, Derly, Ted, Carl, Ken, Simon et Sentia.

Résultats de la recherche

La faiblesse de plusieurs institutions au Québec est mise en exergue par les participants dans leur élaboration sur les facteurs de leur abandon scolaire. Ainsi, les unités de signification identifiées et classées sous la rubrique d’encadrement institutionnel correspondent à l’encadrement scolaire, à l’encadrement sociopolitique et au rôle de certaines institutions sociales, les médias en particulier, dans leur trajectoire socioéducative.

L’encadrement scolaire

Qu’il s’agisse du cycle secondaire régulier ou du secteur de l’éducation des adultes, il s’est avéré que les immigrants haïtiens qui se rendent à l’école dans l’objectif d’obtenir le diplôme d’études secondaires (DES) évoluent généralement dans un milieu interculturel. D’où la pertinence de l’éducation interculturelle et la nécessité pour que les directions d’école mettent en place des structures et adoptent des mesures qui favorisent la persévérance scolaire de ces élèves. Aux dires des décrocheurs, l’éducation interculturelle qui devrait s’articuler autour de la culture et du passé sociolinguistique des élèves immigrants est minimisée dans les politiques de gestion de leurs établissements scolaires. Ils ont déclaré que les enseignants ne sont pas toujours à la hauteur de cette tâche.

Beaucoup d’expressions langagières ont des connotations différentes dans des contextes multiculturels. Nier cette réalité est susceptible d’occasionner des malentendus, la démotivation voire l’abandon scolaire au sein de la population prise en compte par la recherche, à s’en tenir à l’unité de signification suivante.

En arrivant à cette école, on m’a placée dans la classe d’alphabétisation en me disant que c’est comme ça ici, le niveau alpha… J’étais très choquée, désorientée sachant que lorsqu’on parle d’alphabétisation en Haïti, ça concerne l’éducation des personnes qui n’ont jamais été à l’école avant ; mais ici l’alphabétisation n’a pas le même sens qu’en Haïti.

(Prinsa)

Prinsa est revenue de façon récurrente dans son entretien sur le terme alphabétisation. Un mot qui, dans son champ sémantique, symbolise l’infamie, qui la rappelle toujours les mauvais souvenirs de son mauvais classement. Suite à son mauvais classement en mathématique, Prinsa devait retourner suivre un cours au niveau du présecondaire qu’on appelle aussi niveau alpha. Elle a déclaré avoir été traumatisée par le mot alpha, puisque c’est un mot qui, en Haïti, correspond à la littératie des adultes ; autrement dit à l’instruction de base des gens qui n’avaient pas appris à lire, à écrire, voire à compter convenablement pendant leur jeunesse.

Cette expérience rapportée par Prinsa, relative à la délicatesse de l’éducation interculturelle, est vécue à peu près de la même façon par un autre participant (Ted). Son enseignant l’avait traité de « tête de cochon » parce qu’il était têtu. Mais lui, en tant qu’Haïtien d’origine, il avait pris l’expression dans le sens d’une personne malpropre. Cela a été l’une des causes de son décrochage scolaire.

La gestion de classe

Outre le fait que les enseignants doivent faire preuve de maturité et de compétence langagière dans leur façon de s’adresser aux élèves, la gestion efficace de leurs classes doit sous-entendre leur capacité à maîtriser la situation lorsqu’il est question de trouble de comportement de certains élèves. La manifestation de comportement difficile dans les classes traduit parfois un manque de motivation des élèves à rester à l’école, selon les propos de Ken. Celui-ci a affirmé avoir eu, à plusieurs reprises, une telle attitude. Toutefois, il a accusé ses enseignants de ne l’avoir pas véritablement conseillé et convaincu à agir autrement.

Je niaisais dans la classe tout le temps, je déstabilisais les cours en faisant de mauvaises blagues sur les autres élèves et même sur mes enseignants. On avait vraiment de la misère avec moi. Je suis conscient que j’étais fautif […]. Mes enseignants auraient pu me parler, me porter par le dialogue à changer de comportement, mais ce n’était pas du tout le cas.

(Ken)

Le surnombre des classes et l’intimidation

Le surnombre des classes et l’intimidation ont été aussi évoqués dans la recherche en ce qui a trait à l’encadrement scolaire. Certains enseignants ont souvent de la difficulté à avoir le plein contrôle de leurs classes dans des situations où des élèves adoptent un comportement qui nuit à leurs condisciples, particulièrement lorsque les classes sont trop remplies.

À titre d’exemple, Carl a affirmé avoir été intimidé en classe tout au long de ses études secondaires. Ses interventions ont généralement été l’objet de moquerie de la part de plusieurs de ses camarades. Ce qui peut s’expliquer par le fait que les classes ont toujours été trop chargées. Une situation qui n’avait jamais pu être contrôlée par ses enseignants.

Ce qui m’avait surtout marqué, c’est que j’avais été intimidé par des camarades de classe au cours de toutes mes études secondaires ou presque. Toutes les fois que je m’exprimais dans la classe, certaines de mes camarades riaient de moi, c’était comme si je n’avais pas le droit de parler dans la classe […]. Une fois, on m’avait appelé pour aller passer un examen oral, les filles disaient : ah non il ne sait pas parler ce gars. En écoutant cela, j’ai été très intimidé, complexé et c’était l’une des raisons pour lesquelles j’avais quitté l’école en secondaire 5. C’était tellement intense, je ne pouvais faire mieux qu’abandonner l’école deux mois avant la fin de mon secondaire cinq. Ce qui était le plus triste dans tout ça, c’est que mes enseignants n’avaient jamais rien fait par rapport à ces cas d’intimidation, les classes étaient trop remplies, ils en perdaient le contrôle.

L’encadrement sociopolitique

L’encadrement des nouveaux arrivants au pays d’accueil suppose l’intervention de plusieurs entités. Outre les familles d’accueil et leur réseau social, le pouvoir politique et d’autres instances de la société doivent prendre des dispositions pour mettre en place des structures à la fois symboliques et physiques qui favorisent l’intégration et la réussite socioéducative et socioprofessionnelle des jeunes et jeunes adultes nouvellement arrivés. L’absence, par exemple, de mesures pour systématiser le test de classement auquel sont soumis les nouveaux arrivants au Québec, peut compliquer leur fonctionnement et leur évolution dans la collectivité, comme en témoignent ceux d’origine haïtienne qui s’établissent à Montréal.

Il faut aussi qu’il y ait des gens qui donnent des informations aux jeunes immigrants qui viennent d’arriver sur le fonctionnement de la nouvelle société. Ils doivent trouver à leur disposition des ressources pour les informer, pour les orienter vers les sources de renseignements importantes pour les aides sociales. Ils doivent savoir tout ça. Malheureusement, je n’avais pas ça lorsque j’étais arrivée.

(Prinsa)

Le test de classement, les responsables de l’État et des écoles

Les migrants haïtiens, tout comme ceux d’autres pays, qui veulent à leur arrivée au Québec se rendre à l’école en vue d’obtenir le diplôme d’études secondaires ou son équivalent, sont généralement astreints à passer le test de classement. Néanmoins, ce mode d’évaluation ne serait pas homogène dans toutes les écoles de la province voire dans celles de Montréal. Cette incohérence est, en effet, l’une des causes des résultats décevants de cette évaluation caractérisée par beaucoup de cas de mal classés ou de déclassés.

Le processus de classement constitue un facteur de taille dans la bataille contre l’abandon scolaire des nouveaux arrivants haïtiens à Montréal. Au terme de leur processus d’immigration, les jeunes et les jeunes adultes quittent Haïti avec des niveaux de scolarité inégaux. Parallèlement à ceux qui ont eu la chance d’obtenir leur diplôme d’études secondaires avant leur départ d’Haïti, il y en a d’autres qui sont immigrés soit au début, soit au milieu ou peu de temps avant qu’ils ne terminent le cycle d’études. Certains de ceux de cette seconde catégorie qui ne sont pas satisfaits des résultats du test se sont, sans ambages, exprimés sur leur déception.

En arrivant ici au Canada, je venais juste d’avoir mon diplôme d’études primaires en Haïti. Logiquement en arrivant ici je pensais qu’on allait me permettre de débuter mes études secondaires, mais ce n’était pas le cas, j’ai été déçue. Je devais recommencer puisqu’on m’avait classée au niveau alpha.

(Prinsa)

Prinsa et Sentia (les deux participants de sexe féminin interviewés à Montréal) se sont toutes deux prononcées sur leurs déboires suite à leur test de classement peu après leur arrivée au Québec.

Deux mois après mon arrivée, je voyais qu’il était important pour moi de retourner à l’école après plusieurs années consécutives d’arrêt. J’en avais parlé à mes proches et ils m’avaient aidée à effectuer les démarches afin de retourner à l’école. J’étais allée subir un test de classement et les résultats ne correspondaient pas vraiment à mon niveau. En français, ce n’était pas trop mal, on m’avait classée en secondaire trois, mais en mathématiques, on m’avait rétrogradée en secondaire un.

(Sentia)

Le mécontentement qu’a généré le mauvais classement chez Prinsa l’a poussée, rapidement après, à s’organiser en vue d’aller effectuer un autre test de classement en toute clandestinité dans une autre école. Sachant qu’elle a été mieux classée après les résultats de cette nouvelle évaluation, elle l’avait jugé nécessaire de quitter son ancienne école, où elle suivait des cours au niveau d’alphabétisation, pour se rendre à la nouvelle. Ce qui a provoqué la colère de son ancienne enseignante.

Tout de suite après son arrivée à Montréal, Simon avait entamé ses recherches d’emploi, dès la prise de conscience de la grande précarité économique de son entourage familial. L’exigence de l’obtention du diplôme de secondaire cinq, à laquelle il était sans cesse aux prises dans ses démarches, l’avait dirigé avec précipitation vers un établissement scolaire pour effectuer le test de classement. Les résultats de cette évaluation l’avaient jeté dans l’émoi. Il avait su, néanmoins, se montrer courageux.

Non seulement le test de classement n’est pas, selon les participants, pas systématisé au Québec, il ne prendrait pas en considération les particularités des systèmes d’éducation des pays d’origine des migrants. C’est pour eux un autre facteur pour lequel ceux qui ne sont pas bien préparés à cette épreuve ont souvent des résultats désastreux. La colère suscitée par le déclassement et la prise de conscience de cet état de fait de certains d’entre eux auront ont occasionné chez eux l’impatience, la démotivation voire l’abandon scolaire.

J’avais commencé et j’avais quitté l’école en moins d’un mois. L’une des raisons est qu’on m’avait stoppé en mathématiques. On estimait que j’étais trop avancé dans cette matière et, pour cela, on m’avait dit d’arrêter de prendre des cours de mathématiques pour un certain temps et de m’inscrire seulement aux cours de français. Contrairement à ce qu’on voulait que je fasse, moi, je voulais accélérer en mathématiques, je ne voulais pas qu’on me retarde davantage, c’est pourquoi j’avais choisi d’abandonner. La seconde raison de mon abandon est mon mauvais classement. J’avais rencontré des personnes qui m’avaient dit que j’aurais dû m’arranger pour passer plusieurs tests de classement parce que les écoles ne donnent pas les mêmes examens.

(Simon)

Ce participant a sévèrement critiqué la non-systématisation du test de classement au Québec et son manque d’encadrement familial qu’il a cru être à la base de son déclassement. Il a souhaité que les instances concernées fassent un acte de justice en prenant les mesures appropriées pour que ce test soit le même pour tout le monde. Le mauvais classement des élèves fraîchement arrivés d’Haïti fait naître en eux un sentiment de regret et d’humiliation qui les pousse à la discrétion.

L’aide sociogouvernementale

Si les familles d’accueil d’origine haïtienne constituent la première structure qui reçoit les nouveaux arrivants haïtiens au Québec, l’apport significatif des organisations d’intégration sociale auprès de ces derniers reste souhaitable. C’est l’avis de Derly qui, dans son témoignage, a surtout fait allusion à la dimension morale de cet encadrement qu’il a jugé important au début.

L’importance de l’encadrement social dans l’intégration d’un nouvel arrivant a été également évoquée par Carl lorsqu’il a déclaré: « avec l’encadrement social les jeunes peuvent être mieux orientés dans leurs décisions et mieux aidés dans leurs devoirs. Si au début j’étais bénéficiaire de ce support, j’aurais eu un meilleur boulot aujourd’hui ».

En ce qui concerne Sentia, elle n’a fait que corroborer le point de vue de Derly et de Carl. Elle est revenue sur l’importance des organisations d’intégration de la société et de l’État des pays d’accueil dans la réussite socioculturelle et économique des nouveaux arrivants haïtiens au Québec. L’aide sociogouvernementale est, selon tous les participants, indispensable à l’adaptation des migrants et à leur persévérance scolaire.

L’influence des médias

L’effet des médias de masse, en mode traditionnel et en ligne, a été aussi au centre du discours des participants dans le processus psychosocial de leur abandon scolaire. Selon Ken, plusieurs vidéos musicales diffusées à Montréal ont impacté négativement la construction de la mentalité des jeunes en provenance d’Haïti. À titre d’exemple, il a cité un vidéoclip créole « pale pawòl » originaire de la nouvelle tendance populaire musicale des États-Unis. Une production musicale qui, à son avis, est porteuse d’un message qui dévalorise l’école et son importance dans la vie des jeunes.

À l’instar de Ken, Derly et Carl ont tous pointé du doigt les médias électroniques dans le processus psychosocial de l’abandon scolaire des jeunes et des jeunes adultes nouveaux arrivants haïtiens à Montréal.

Discussion

Les résultats de la recherche nous fournissent des idées pertinentes pour un meilleur encadrement institutionnel des nouveaux arrivants haïtiens, au secondaire et au secteur des adultes à Montréal, ce qui pourra influencer positivement leur persévérance scolaire.

Le rapport entre le travail empirique et la question de recherche

Dans son entretien, Prinsa a mis l’accent sur la relation problématique qu’elle a entretenue avec son enseignante qui n’avait pas su créer un climat de confiance entre elle et ses élèves. Néanmoins, les difficultés économiques constituent le principal facteur de l’abandon scolaire de cette participante. L’impératif de travailler pour satisfaire ses besoins fondamentaux et les problèmes inhérents à la conciliation école-travail, à la suite de son mariage et aux contraintes subséquentes, demeurent les plus importants déterminants de son départ prématuré du milieu scolaire.

La situation de Derly présente une certaine similitude avec celle de Prinsa. Nonobstant l’influence des difficultés économiques sur le processus psychosocial de leur abandon scolaire, ils ont tous abordé, dans leur témoignage, le manque de structures sociales et gouvernementales quant à l’information et à l’orientation des nouveaux arrivants au Québec.

Pendant longtemps, Ted a déclaré avoir nourri l’idée de quitter l’école pour se diriger vers le marché du travail tout en ayant été encore adolescent. Il a aussi souligné et critiqué le manque de contrôle et de responsabilité de son père dans sa vie scolaire. Cependant, l’incapacité de son enseignant à travailler dans un contexte interculturel demeure le facteur le plus important de son départ du milieu scolaire. De façon plus précise, les mécompréhensions interculturelles ont été déterminantes. En l’occurrence, le fait de son enseignant de le traiter de « tête de cochon » après s’être présenté en retard en classe, a été la cause conjoncturelle de sa décision.

Carla, de son côté, pointé du doigt ses enseignants du secondaire de n’avoir jamais pu se prévaloir de leur autorité pour mettre un terme à l’intimidation dont il a été victime pendant plusieurs années. Le surnombre des classes a, toutefois, été pour lui une circonstance atténuante de l’inaction de ses derniers.

Dans le cas de Ken, son décrochage scolaire est principalement associé à sa volonté d’aller travailler pour satisfaire ses besoins. Il a quand même souligné l’absence des conseils de son enseignant qui auraient pu lui être salutaires dans sa période de grande vulnérabilité. Son mauvais comportement en classe a été surtout, selon lui, l’expression de sa démotivation et de son envie d’abandonner ses études.

Le faible niveau de sa famille d’accueil sur les plans du capital économique, du capital culturel et du capital social a été au cœur du témoignage de Simon. Mais, son mauvais classement reste le mobile prédominant de son abandon scolaire. Il pense qu’il aurait eu une meilleure préparation au test et un meilleur classement si cette cellule familiale avait une culture et un réseau social plus épanouis.

En ce qui concerne Sentia, elle a clairement mis en relief les contraintes économiques comme facteur prépondérant de sa décision de s’éloigner temporairement du milieu scolaire, juste après son inscription au secteur de l’éducation des adultes à son arrivée. Elle a, néanmoins, fait mention dans son entrevue de plusieurs autres facteurs démotivants comme le manque de renseignements sur la culture d’accueil et les institutions de la province de Québec et le mauvais classement en mathématiques dont elle a été l’objet, dans son processus d’abandon scolaire.

L’absence de mesures appropriées par les responsables de directions d’école et de l’État a été au centre du témoignage des participants en ce qui a trait, notamment, au test de classement auquel ils ont été astreints en arrivant. L’incompétence de certains enseignants dans des contextes d’éducation interculturelle constitue un autre élément marquant évoqué par les participants de la recherche dans la dynamique de leur abandon scolaire à Montréal.

La nécessité pour les dirigeants du pays d’accueil de mieux structurer le programme de prêt aux nouveaux arrivants, pour leur permettre de subvenir réellement à leurs besoins les plus cruciaux et de progresser dans la société, a été une proposition faite par la plupart des interviewés. Ils ont également suggéré l’apport des institutions médiatiques dans le processus d’intégration et d’éducation des jeunes et des jeunes adultes nouveaux arrivants haïtiens au Québec.

Les résultats au regard des présupposés de la recherche

L’analyse des données permet d’affirmer l’existence d’une bonne coordination entre l’expérience des participants, la recension d’écrits et les approches théoriques susmentionnées à savoir le structuro-fonctionnalisme et le courant effets-écoles/ effets-enseignants (Crahay, 2000 ; Bressoux, 1994 ; Darius et Bouchamma, 2016; Campeau et al., 2004). L’encadrement institutionnel, qui se subdivise en encadrement scolaire et en encadrement sociopolitique, renferme des déterminants remarquables dans la bataille contre l’abandon scolaire des nouveaux arrivants haïtiens à Montréal, à en croire le discours de ces derniers.

Au fil de leur témoignage, les participants laissent comprendre que l’encadrement scolaire et l’encadrement sociopolitique sont indispensables au progrès socioéducatif des nouveaux arrivants haïtiens. Surtout dans un contexte caractérisé par la diversité culturelle, les directeurs d’écoles et les enseignants doivent se montrer à la hauteur de leurs missions. Autrement dit, ils doivent faire preuve d’une bonne application des normes psychopédagogiques, de l’esprit d’altérité et d’ouverture afin de favoriser la persévérance scolaire des élèves la population concernée par cette étude. Les participants souhaitent que les administrateurs d’école et les autorités étatiques prennent, dans une action conjuguée, des mesures concrètes pour homogénéiser le test de classement.

S’il est vrai qu’il existe un rapport étroit entre la recherche et ses présupposés, il faut surtout noter la présence de certains facteurs émergents. Les participants ont spécifiquement mis l’accent sur l’assistance économique de l’État d’accueil, ce qui favoriserait un démarrage assuré des nouveaux arrivants sur le plan socioéducatif. Aussi, se sont-ils exprimés sur la place que devraient occuper les médias de masse dans leur processus d’intégration et d’éducation. Au lieu de vanter les bienfaits des moyens de communication de masse, la radio et la télévision particulièrement, ils en présentent leurs méfaits sur le rendement de la population concernée.

Conclusion

Cet article représente un pas supplémentaire dans le processus scientifique de la compréhension des facteurs d’abandon scolaire des jeunes et des jeunes adultes, originaires d’Haïti, du secondaire et du secteur des adultes à Montréal. Si le nouvel arrivant ne reçoit pas les encadrements nécessaires au début, il peut demeurer déconnecté toute sa vie au pays d’accueil. Plusieurs facteurs, dont les difficultés économiques, les faiblesses liées au capital culturel et au capital social des familles d’accueil de la population ciblée, sont révélés par cette recherche. Toutefois, les problèmes correspondant à la rubrique de l’encadrement institutionnel sont de ceux qui ont engendré le plus de frustration et de démotivation chez les décrocheurs à Montréal.

Les participants souhaitent que les instances concernées prennent les meilleures dispositions pour l’encadrement scolaire et sociopolitique des immigrants haïtiens. Autrement dit, ils revendiquent une éducation interculturelle plus efficace et l’homogénéisation du test de classement. Ils croient qu’une aide socioéconomique plus importante de l’État aux nouveaux arrivants haïtiens et une influence plus positive des médias de masse, par la diffusion de messages plus éducatifs, sont essentielles à leur persévérance scolaire et à leur réussite socioculturelle au Québec.

En dépit de l’éclairage de la problématique en question, cette recherche qualitative ne suscite aucune prétention de vérité absolue. Elle peut, en revanche, servir de tremplin à l’élaboration d’hypothèses pour des études plus approfondies sur des populations plus étendues. Elle se veut un prétexte à d’autres travaux similaires qui prendront en compte les points de vue d’autres participants, notamment les parents, les enseignants ou les pairs des élèves jeunes et jeunes adultes nouveaux arrivants haïtiens au Québec.

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