Une panoplie de langues à Parc-Extension! (by Roseline G. Paquet)

Notre blogueuse invitée cette semaine, Roseline G. Paquet, a complété un baccalauréat en éducation en enseignement du français langue seconde dans un programme conjoint entre l’Université de Montréal et l’Université McGill. Présentement, elle enseigne le français langue seconde pour la Commission scolaire de Montréal en maternelle à Parc-Extension, quartier de Montréal. Elle a déjà enseigné à d’enfants d’âge préscolaire/primaire, à Montréal et au Sénégal, et aux adultes. Elle vient de terminer une maîtrise en anthropologie linguistique et sociolinguistique critique à l’Université de Montréal. Ses champs de recherche sont les nouveaux locuteurs, la mondialisation, la socialisation langagière, la mobilité linguistique, la reconstruction identitaire, le plurilinguisme/multilinguisme et le français langue seconde.

Le quartier Parc-Extension est fascinant pour observer la complexité des pratiques linguistiques des migrants à Montréal. Depuis plusieurs années, j’y enseigne le français langue seconde aux enfants d’âge préscolaire qui ont une pratique régulière du français associée à d’autres langues. J’y côtoie aussi plusieurs commerçants plurilingues. La nature et la diversité des trajectoires des enfants et des adultes du quartier représentent des itinéraires composites et complexes impliquant des expériences linguistiques diversifiées. Les idéaux de pureté linguistique et d’uniformité vont à l’encontre de ces locuteurs parce qu’ils se caractérisent par la diversité de leurs pratiques plurilingues. À Montréal, la définition identitaire ethnicisée de « francophone » est élargie :

« […] Une troisième « communauté » [autre que la communauté francophone ou anglophone] est présente. Cette « communauté » ne prend pas forme autour d’un trait linguistique, mais autour d’un parcours d’immigration […] Elle est marquée par le plurilinguisme de sa population » (Lamarre, Lamarre, Lefranc & Levasseur, 2015, p. 83).

Le plurilinguisme et les changements sociaux qui se produisent actuellement dans le monde, comme l’accélération et la compression du temps et de l’espace (Harvey, 1999), ainsi que la mobilité mondiale, ont abouti à une diversité et à une hétérogénéité sociale sans précédent (Aronin & Singleton, 2008). Ainsi, à Parc-Extension, les autres langues que le français ou l’anglais gagnent de la valeur.

À l’école préscolaire Camille-Laurin du quartier, les langues premières des élèves sont majoritairement le urdu, le tamoul et le pendjabi, mais aussi le bengali, l’arabe, le pashto, l’hindi, l’albanais, l’anglais, l’espagnol, le gujarati, le malayalam, le turc et le vietnamien. Le français est souvent la deuxième ou troisième langue du répertoire linguistique des enfants. La diversité linguistique est donc remarquable dans cette école francophone qui accueille des écoliers provenant de tous les coins du monde. Plus spécifiquement, l’école a pour mission de faciliter l’intégration et l’apprentissage du français des 450 élèves qui la fréquentent tout en respectant leurs langues d’origine.

L’équipe-école enthousiaste travaille quotidiennement en français et, parfois, avec les langues d’origine des petits. Par exemple, l’activité de lecture plurilingue, entre parents et enfants d’âge préscolaire, favorise, au moyen d’albums de littérature jeunesse, la prise de conscience de la diversité linguistique et culturelle. Les parents qui sont aussi, pour la plupart, des nouveaux locuteurs du français, font la lecture d’un album jeunesse dans leur langue d’origine aux petits. L’éducation interculturelle maximise la participation des parents et des enfants à l’apprentissage, à la vie sociale et culturelle et à la communauté (Bélanger, 2007).

Des fleurs de langues utilisées pour une activité de lecture plurilingue.

À Parc-Extension, dans les rues du quartier, il n’est pas rare qu’on m’aborde dans d’autres langues que le français ou l’anglais. Quand je discute avec les commerçants du quartier, je réalise qu’ils communiquent avec leurs clients dans une multitude de langues. Les formes de sociabilité publique démontrent la négociation quotidienne de la diversité dans l’espace public entre les différents locuteurs du quartier :

« The cosmopolitan city […] is one where diversity has created a temporary tolerance, a thriving exchange among strangers. And the project of place, by force, by design, by chance or coercion, the project is an attempt to benefit from the presence of newcomers and outsiders » (Germain & Radice, 2006, p. 122).

La dynamique de socialisation des langues s’inscrit ainsi dans un contexte plurilingue complexe. Plus spécifiquement, les choix linguistiques, souvent inconscients, des propriétaires avec leurs clients sont reliés à la participation individuelle dans les pratiques interactionnelles et sociales étant assignées à des espaces particuliers. Leur répertoire linguistique reflète aussi leurs histoires de vie et leurs trajectoires propres dans des espaces linguistiquement variés.

Les propriétaires d’une pizzeria halal, Madame Tahara et Monsieur Mohamed, originaires du Bangladesh, s’adressent en bengali, urdu, hindi, anglais et français à leurs clients.

Monsieur Omer, originaire de la Turquie, employé d’une pâtisserie turque, s’adresse en turc, anglais et français à ses clients.


Originaire du Pakistan, la propriétaire d’un dépanneur s’adresse en urdu, arabe et anglais à ses clients.

Le contexte de la mondialisation et du contact plurilingue me fait donc réfléchir aux pratiques linguistiques des résidents du quartier Parc-Extension à Montréal. À mon avis, la langue se doit d’être appréhendée selon le processus d’intégration en contexte de mondialisation. En contournant la réduction monolingue et territorialisée qui peut être imposée par la notion de langue, le répertoire plurilingue des enfants et des adultes de ce quartier est complexe et diversifié. Leurs langues ne sont d’ailleurs pas statiques à travers le temps, mais elles constituent plutôt des ressources culturelles qui peuvent être utilisées de diverses manières dans des contextes sociaux particuliers (Gérin-Lajoie, 2008). Prenant la langue comme une modalité d’être dans le monde, la langue est en mouvement, c’est-à-dire que les ressources linguistiques sont dans un état de translocalité, ce qui signifie qu’elles sont en déplacement à travers différentes trajectoires d’espace et de temps (Low, 2003; Moriarty, 2014).

 

Références

Aronin, L., & Singleton, D. (2008). Multilingualism as a new linguistic dispensation. International journal of multilingualism, 5(1), 1-16.

Bélanger. (2007). Une école, des langues…? L’enseignement du français en milieu minoritaire en Ontario. Le français aujourd’hui(3), 49-57.

Gérin-Lajoie, D. (2008). Educators’ discourses on student diversity in Canada: Context, policy, and practice: Canadian Scholars’ Press.

Germain, A., & Radice, M. (2006). Cosmopolitanism by default: Public sociability in Montreal. Cosmopolitan urbanism, 122.

Harvey, D. (1999). Time-space compression and the postmodern condition. Modernity: Critical Concepts, 4, 98-118.

Lamarre, P., Lamarre, S., Lefranc, M., & Levasseur, C. (2015). La socialisation langagière comme processus dynamique: suivi d’une cohorte de jeunes plurilingues intégrant le marché du travail: Conseil supérieur de la langue française.

Low, S. M. (2003). Embodied space (s) anthropological theories of body, space, and culture. Space and culture, 6(1), 9-18.

Moriarty, M. (2014). Languages in motion: Multilingualism and mobility in the linguistic landscape. International Journal of Bilingualism, 18(5), 457-463.

 

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