Penser aux allophones pendant une pandémie (by Caroline Dault)

Avril 2020. Je commence à préparer ce billet. J’ai envie de parler de tonnes de choses, de faire des tonnes de choses, mais je suis prise dans un quotidien dans lequel la COVID-19 restreint mes activités. Mes activités sociales, évidemment, mais intellectuelles aussi. Partout, on ne parle que de la crise, à un tel point où je me sens comme si parler d’autre chose manquerait de pertinence. Par ailleurs, la crise se ressent fortement dans mon domaine professionnel, comme c’est probablement le cas pour la plupart d’entre vous. En tant que chargée de cours en français langue seconde dans une université anglophone, je ne peux que mesurer l’ampleur de la situation sur mes étudiants, dont la plupart ont le statut d’étudiants internationaux. Plusieurs d’entre eux sont restés bloqués au Canada lorsque les frontières ont été fermées. Ils sont isolés, loin de leur famille, et tentent de s’y retrouver au cœur d’une crise sanitaire sans précédent.

Si mes étudiants parlent couramment anglais et sont en mesure de comprendre l’information qui leur est transmise, ce n’est pas le cas de tous les adultes qui apprennent une langue seconde; certains de mes collègues en enseignement, eux, œuvrent auprès d’étudiants immigrants dont le degré de compréhension du français et de l’anglais peut avoir un immense impact sur leur capacité ou non à obtenir de l’information fiable sur la crise, ses effets et sur les consignes gouvernementales. Sensible à cette situation, une enseignante de francisation-alpha, travaillant dans un Centre d’éducation aux adultes auprès d’une clientèle sous-scolarisée, a eu l’idée de créer une vidéo expliquant à ses apprenants le guide autosoins COVID-19.  Cette initiative permet de déchiffrer la structure du document, d’y repérer l’information essentielle. C’est qu’il ne faut pas oublier que les compétences en littératie et l’accès à l’écrit demeurent un défi important pour nombre d’étudiants et de Québécois – qu’ils soient nés ici ou ailleurs.

Élie Trottier Gingras a partagé son travail sur un groupe Facebook d’enseignants de français langue seconde

Je me suis entretenue avec l’enseignante en question, Élie Trottier Gingras, qui m’a expliqué : « En feuilletant le document, je me suis simplement dit que mes élèves l’avaient reçu aussi et qu’ils ne devaient pas être capables de le lire. Avec le confinement (et en tout temps en fait 😉), je cherche sans cesse de nouvelles manières de les exposer au français, alors l’idée de leur envoyer une lecture orale de ce document authentique m’est venue. Au moins en comprenant mieux la page titre et la table des matières, ils pourraient cibler les sections qui les intéressent davantage et les traduire avec Google traduction ensuite ». Dans la même veine, Caroline Custeau, agente d’intégration au Cégep de Sherbrooke a traduit – avec l’aide de ses étudiants – une liste de choses à faire tous les jours pour prendre soin de sa santé mentale.

Une liste traduite en quatre langues pour aider les étudiants à prendre soin d’eux-mêmes

Quand on sait que les personnes immigrantes sont particulièrement sujettes à l’isolement en ces temps de distanciation sociale, cette idée a de quoi réconforter. Par ailleurs, la diffusion de son travail sur internet a amené Madame Custeau à coordonner la traduction des ressources alimentaires de Sherbrooke en huit langues, une initiative du Centre d’action bénévole local. Dans le contexte d’instabilité économique que nous connaissons, l’accès à l’information concernant l’aide alimentaire est tout aussi nécessaire que la compréhension des consignes gouvernementale en matière de prévention de la contamination.

Fort heureusement, la diffusion d’information multilingue ne repose pas uniquement sur les épaules des gens du milieu de l’éducation. Ma collègue, Dre Sunny Man Chu Lau, parlait récemment des mesures prises par le gouvernement chinois pour transmettre de l’information multilingue à la population au sujet de la COVID-19. Elle y mentionnait qu’au Québec, le Guide-autosoins COVID-19, distribué dans tous les foyers de la province, est uniquement en français, bien que l’information équivalente soit disponible en ligne en anglais et en langue des signes québécoise.

La fiche de consignes gouvernementales en hébreu

Ajoutons à cela que le gouvernement a créé des visuels, offerts en ligne et disponibles en 15 langues différentes, sur les bonnes pratiques pour freiner la propagation de la Covid-19, une idée reprise par de nombreux organismes communautaires œuvrant auprès des populations immigrantes, dont le Service d’interprètes, d’aide et de références aux immigrants (SIARI), qui a produit un document expliquant les mesures de précaution à prendre pour se protéger de la COVID-19 en 16 langues différentes et le Service d’aide aux Néo-Canadiens (SANC), qui propose des conseils pour les familles en temps de pandémie dans cinq langues.

La fiche préparée par le SIARI en créole
Un extrait du document du SANC en espagnol

Ces documents peuvent indéniablement être utiles pour les familles immigrantes… s’ils sont correctement diffusés. En effet, si l’on considère que les compétences technologiques des familles immigrantes varient grandement et que l’accès aux technologies et à la télécommunication au Canada est l’un des plus couteux au monde (Collin, 2017), une partie de la population à laquelle s’adressent ces traductions pourrait avoir des difficultés à tirer profit de cette initiative.

#propagelinfopaslevirus

Sans doute pour répondre à ce besoin de diffuser l’information autrement, le Syndicat canadien de la fonction publique – en partenariat avec des organismes communautaires, a eu l’idée de sillonner les rues  du quartier Côte-des-Neiges, à Montréal avec une camionnette munie d’un portevoix. Son intention était d’offrir à la population de ce quartier durement touché par la pandémie et où se côtoient des populations issues de 72 pays différents, un message en 14 langues l’enjoignant de rester à la maison. Cette solution présente assurément l’avantage de rejoindre les ménages n’ayant pas accès aux technologies, mais pourrait paraitre répressive – et menaçante – aux personnes ayant connu de tels modes de diffusion en tant de guerre. Par ailleurs, on est en droit de se demander sur quel raisonnement est fondé le choix de diffuser des messages multilingues au portevoix dans les quartiers caractérisés comme « immigrants », mais que l’équivalent en anglais et en français, à ma connaissance, ne s’est pas vu ailleurs. Si l’on se fie sur le reportage d’Urbania, l’initiative semble toutefois avoir été bien reçue par les résidents et aurait permis aux intervenants d’entrer en contact avec ces derniers, la camionnette ayant également profité de sa tournée pour multiplier les arrêts dans des lieux stratégiques du quartier.

J’aurais voulu parler de plein de choses, mais peut-être que ce dont on a besoin, en ce moment, en tant que société, c’est juste de prendre soin les uns des autres. Je m’incline bien bas devant celles et ceux qui pensent aux allophones au beau milieu d’une pandémie et qui prennent des initiatives, certes imparfaites, mais oh combien nécessaires, permettant d’informer une des tranches physiquement, socialement et psychologiquement vulnérables de la population.   

Un merci tout spécial à Catherine Levasseur, PhD, pour ses précieuses contributions à ce billet.

Référence

Collin, S. (2017). Immigrants 2.0. Les technologies au service des familles issues de l’immigration récente. Le réseau EdCan. Disponible à https://www.edcan.ca/articles/immigrants-2-0/?lang=fr

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