Ouvrir les yeux, les oreilles et le cœur des futurs enseignants de français par une approche biographique (by Dr. Catherine Levasseur)

Cette session, je suis chargée de cours à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal et j’ai le plaisir de donner le cours de Sociolinguistique et FLS (français, langue seconde). Ce cours s’adresse à de futurs enseignants de français susceptibles de se retrouver dans des classes d’accueil au primaire et au secondaire ou encore d’enseigner la francisation aux adultes immigrants. Mon objectif dans ce cours peut se résumer grossièrement à sensibiliser ces futurs enseignants de français langue seconde aux enjeux de diversité linguistique à l’école québécoise. Comme le rappelait si bien Cummins (2001), le danger qui guette les enseignants d’une langue majoritaire en contexte de diversité est celui d’adopter volontairement ou non une approche assimilationniste en salle de classe. Le danger, c’est qu’à trop bien vouloir enseigner et transmettre la langue majoritaire, dans ce cas-ci, le français, on en vienne à oublier, nier, ignorer et même dévaloriser les autres ressources langagières des élèves. Le risque est grand d’adopter des comportements de glottophobie [https://youtu.be/3D_ABYMMPak], comme le décrit si bien Philippe Blanchet (2016), et de nuire à la bonne éducation, à l’instruction et à l’accueil des élèves, plutôt que de les soutenir.

La majorité des jeunes et moins jeunes futures enseignantes et enseignants qui se retrouvent dans mon cours sont des passionnés des langues et du français en particulier. La vaste majorité est déjà plurilingue et ces étudiants valorisent à leur façon le plurilinguisme. Je dis « à leur façon », car sans toujours s’en rendre compte, ils valorisent un certain type de plurilinguisme : celui de l’élite. Le plurilinguisme acquis à travers les cours de langue seconde, les programmes enrichis, les échanges linguistiques, le tourisme. Ils ont des répertoires linguistiques constitués pour la plupart de langues et de variétés linguistiques prestigieuses et valorisées en contexte québécois : le français, l’anglais, l’espagnol, l’allemand, le portugais, l’italien… Les langues sont certes une passion pour ces futurs enseignants, mais elles sont surtout, pour nombre d’entre eux, un loisir. Leur attachement ou leur loyauté identitaire va au français avant tout, qu’ils considèrent comme leur langue maternelle.

À côté de ces étudiants qui portent cette forme de plurilinguisme prestigieux, il y a aussi les cas des futurs enseignantes et enseignants immigrants dont le plurilinguisme est le résultat d’un parcours de vie marqué par la mobilité, l’immigration et l’adaptation à une ou des sociétés d’accueil. Ces étudiants, en plus du français et de l’anglais, parlent d’autres langues telles que l’arabe, le berbère, le créole haïtien, le roumain, etc. Ces langues sont souvent minorisées, ici ou dans leur pays d’origine. Elles ont en général une valeur moindre sur le marché linguistique québécois par rapport aux langues européennes dominantes. Pour ces étudiants, le français est une langue importante et significative dans leur parcours et ils partagent avec leurs collègues de classe une passion pour son enseignement. Leur répertoire plurilingue est toutefois constitué de plusieurs autres langues auxquelles ils attribuent une valeur identitaire forte, qu’ils aient choisi ou non de les maintenir au fil du temps et des contextes.

Pour atteindre mes objectifs pédagogiques et tirer profit de cette diversité présente dans ma salle de classe, j’ai suivi les conseils de ma mentore Patricia Lamarre et j’ai demandé aux étudiants de préparer une biographie langagière qu’ils devraient ensuite partager à leurs collègues de classe, par la forme d’échanges en petites équipes choisies au hasard. Cette biographie devait être multimodale et créative, loin de l’exposé oral et de l’essai habituels. Nous nous sommes inspirés de ce que Gail Prasad (2013) a réalisé avec les élèves plurilingues de sa recherche afin de les encourager à représenter visuellement leur plurilinguisme [https://www.iamplurilingual.com/gallery.html]. Je me suis aussi basée sur les approches plurielles en didactique des langues, dont les travaux de Christiane Perregaux (2000) [http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perregau/rech_creole_jou.html], qui a mis en lumière les bénéfices possibles de l’utilisation des biographies langagières en contexte de diversité linguistique à l’école. Raconter sa biographie langagière en format multimodal, c’est l’occasion de partager son histoire en prenant appui sur des images, des symboles et des représentations qui informent tout autant, sinon plus, de ce qui est dit. C’est une activité qui a le potentiel de réconcilier la particularité de l’expérience individuelle avec l’universalité de la condition humaine. C’est par cette réflexion personnelle couplée à une mise à distance critique que je souhaitais sensibiliser les étudiants aux enjeux de glottophobie à l’école.

Après leur avoir partagé ma propre biographie langagière en exemple, les étudiants se sont lancés. Et wow ! Quelle réussite !   

D’abord, ils ont été créatifs ! Bricolages, affiches, dessins, tissus, photos, valise d’objets, boites aux trésors… Que ce soit en mode matériel ou virtuel, les étudiants ont trouvé des manières originales de partager leur parcours linguistique. Ensuite, et c’est le plus important, cette activité a suscité des échanges et des rencontres riches et stimulantes. Ils ont non seulement appris à propos de leur propre répertoire linguistique, mais ils ont aussi et surtout appris à connaitre celui de leurs pairs. Ils ont découvert leurs collègues de classe qu’ils pensaient pourtant bien connaitre. Ils ont découvert la complexité, la richesse et la diversité des biographies langagières des autres étudiants de leur cohorte. Ils ont découvert les raisons diverses qui poussent les individus à apprendre les langues, les expériences qu’ils en font, les émotions qui s’y rattachent, les obstacles et les réussites vécues dans ce processus d’apprentissage.

Par cette activité d’échanges, j’ai été témoin d’un grand changement dans la salle de classe. J’ai vu des yeux s’ouvrir. J’ai vu des oreilles s’ouvrir. J’ai vu des cœurs s’ouvrir. Les étudiants et les étudiantes ont vite compris qu’avec leurs futurs élèves, grands et petits, une démarche semblable était aussi possible. Cette activité pouvait facilement s’ajouter à leurs ressources didactiques en vue de favoriser une éducation inclusive. Ils ont en effet constaté que partager sa biographique langagière permet de mettre en valeur ses langues, ses identités, ses expériences. Ça permet de mieux se connaitre et de réduire les préjugés et les stéréotypes. Cela permet d’améliorer la relation de confiance entre les enseignants et leurs élèves, ainsi qu’entre les élèves. Cela contribue à une ambiance de classe où tous sont les bienvenus et où tous peuvent contribuer à la vie scolaire et à la vie sociale du groupe. Une activité qui ouvre les cœurs, c’est une activité enrichissante qui contribue, à son échelle, à combattre les discriminations linguistiques à l’école.

Je nous souhaite à tous qu’elle soit reprise auprès de nombreux élèves à l’avenir.

Références:

Blanchet. P. 2016. Discrimination: Combattre la glottophobie. Paris: Textuel.

Cummins, J. 2001. La langue maternelle des enfants bilingues. SPROGFORUM, 19, p. 15-20.

Perregaux, C. 2000. Biographies langagières : pratiques nouvelles d’un genre ancien. Cercle de réalisations et de recherche pour l’éveil au langage et l’ouverture aux langues à l’école (Créole), 3, p. 2-3

Prasad, G. 2013. Children as Co-ethnographers of their Plurilingual Literacy Practices: An Exploratory Case Study. Language and Literacy, 15 (3), p. 4-30.

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