Cinq pistes pour enseigner le verbe en contexte plurilingue (by Dr Joël Thibeault)

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 Notre invité cette semaine est professeur à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa. Il s’intéresse, entre autres, à la prise en compte du répertoire linguistique des élèves, aussi pluriel soit-il, dans l’enseignement de la grammaire du français.  

Lors d’une présentation que j’ai récemment eu la chance de donner à l’université McGill dans le cadre de la série des conférences du Plurilingual Lab (Thibeault, 2020), j’ai exposé quelques données issues de ma recherche portant sur l’enseignement et l’apprentissage du verbe en contexte plurilingue minoritaire. Ces résultats, renvoyant à des travaux publiés dans les dernières années (Thibeault, Fleuret et Lefrançois, 2018; Thibeault et Lefrançois, 2018), m’ont dès lors permis, en fin de communication, de mettre en avant quelques pistes pour enseigner les verbes dans des contextes éducatifs qui se caractérisent par la diversité linguistique. Pour le présent billet de blogue, je me propose donc de reprendre ces pistes, afin d’outiller ceux qui sont appelés à enseigner le français à des élèves plurilingues.

1. Commencer l’enseignement des verbes en mettant l’accent sur leurs formes orales

On dit souvent que le verbe est particulièrement difficile à apprendre parce que, dans le système verbal du français, on compte de nombreux homophones. Si on regarde simplement le verbe chanter au présent de l’indicatif, on note effectivement trois formes qui se prononcent de la même manière, mais qui s’écrivent différemment (chante, chantes, chantent). Or, la complexité dont il est question ici ne relève pas de l’homophonie en tant que telle ; autrement dit, le fait que plusieurs formes se disent de la même façon ne renvoie guère à un obstacle pour celui qui apprend le français, bien au contraire! C’est plutôt quand on enseigne les verbes en mettant l’accent sur l’écrit que cette homophonie devient complexe, car elle se transpose souvent par des patrons orthographiques différents.

L’enseignant qui montre les verbes peut donc le faire de manière progressive en se focalisant d’abord sur les formes orales et en mettant de côté momentanément ce qui relève de la langue écrite (Germain et Séguin, 1995). En travaillant de la sorte, on segmente l’enseignement du verbe en commençant par l’essentiel, l’oral, et on invite progressivement l’élève à déployer les efforts cognitifs qui permettront son apprentissage. Bien évidemment, cela ne veut pas dire qu’il faut faire fi de l’écrit. Toutefois, en le mettant au second plan, on peut offrir un appui constant vis-à-vis d’un nombre plus limité de formes verbales. On pourra ensuite aborder l’orthographe des verbes quand l’apprenant sera prêt, lorsqu’il saura utiliser une certaine variété de formes orales.

2. Enseigner les verbes en fonction de leur fréquence d’occurrence

En contexte plurilingue, parce que le français peut être la langue seconde de plusieurs apprenants, il convient de miser principalement sur les verbes qui sont utiles, ceux qu’on utilise souvent. À cet égard, Roy-Mercier et Chartrand (2016) proposent une typologie des verbes qui, contrairement à leur classification traditionnelle, ne prend pas appui sur la désinence des verbes à l’infinitif, mais qui est conçue en fonction de leur fréquence d’utilisation. Dans cette typologie, il existe donc un premier regroupement dans lequel apparaissent tous les verbes réguliers en –er, un deuxième qui est composé des dix verbes irréguliers les plus fréquents (avoir, être, faire, etc.) et un dernier, constitué de tous les autres verbes. De façon similaire, à la fin de leur ouvrage phare sur l’enseignement de la conjugaison, Meleuc et Fauchart (1999) listent les 100 verbes les plus fréquemment utilisés, ce qui peut être un outil précieux pour l’enseignant qui veut orienter sa présentation des verbes selon leur fréquence d’utilisation.

3. Enseigner la variation du radical des verbes irréguliers  

Quand on dit qu’un verbe est irrégulier, on dit en fait que son radical change en fonction de la personne grammaticale à partir de laquelle on opère l’accord. En ce sens, on ne peut pas simplement retirer la désinence infinitive du verbe et y ajouter celle qui est attendue, comme c’est le cas du verbe régulier aimer ; on doit aussi en modifier le radical. Par exemple, le verbe boire affiche trois radicaux au présent de l’indicatif (boi-, buv-, boiv-) ; il est donc irrégulier.

Si les élèves ont été exposés à un français qui s’approche de celui dans sa variété standard en grandissant, ils auront probablement développé un bagage de connaissances implicites qui favorisent l’utilisation de plusieurs verbes irréguliers. En contexte plurilingue, cela dit, on ne peut toutefois tenir pour acquis qu’ils ont dans leur bagage ces connaissances sur les radicaux ; il importe donc d’en tenir compte quand on leur enseigne les verbes. Pour ce faire, comme le propose Tisset (2005), on peut enseigner les verbes en fonction de leur nombre de radicaux pour un même mode-temps. Pour le présent de l’indicatif, par exemple, on aura donc les verbes pour lesquels on trouve un radical (aimer, clavarder, etc.). On aura ensuite ceux pour lesquels il existe deux radicaux (appeler, finir, etc.) et, enfin, ceux pour lesquels on en compte trois (boire, prendre, etc.). En présentant les verbes de cette manière, on amène les élèves à voir les liens qui existent entre leurs radicaux ; ainsi peut-on structurer l’enseignement grammatical de manière à répondre aux besoins des élèves qui ne vivent peut-être pas une exposition accrue au français à l’extérieur de l’école.

4. Mettre l’accent sur les régularités

Si, quand on leur enseigne les verbes, on demande fréquemment aux élèves de mémoriser des formes verbales, on peut aussi attirer à leur attention un certain nombre de régularités qui les aideront indubitablement à mettre en œuvre le système verbal français. Sans viser l’exhaustivité, nous en mettons quelques-unes en exergue. Le lecteur qui veut en apprendre davantage peut se référer à l’excellent ouvrage de Meleuc et Fauchart (1999) :

  • le radical des verbes de la quatrième personne (le nous) au présent de l’indicatif est souvent le même que le radical de tous les verbes de l’imparfait de l’indicatif. Par exemple, pour construire le verbe boire à l’imparfait de l’indicatif, on en retient la forme buvons, on en retire la désinence (-ons) et on appose la désinence attendue de l’imparfait (buv-ais, buv-ais, buv-ait, etc.).
  • les désinences sont les mêmes à l’imparfait de l’indicatif et au conditionnel présent.
  • les radicaux du futur simple de l’indicatif et du conditionnel présent sont les mêmes.
  • un verbe à la première personne (le je) ne peut se terminer que par quatre marques morphologiques : le -s, le -e, le -x ou le -ai.

En faisant découvrir de telles régularités, l’enseignant peut faire de la conjugaison un système unifié et cohérent avec ses élèves (Chartrand, 2015). Autrement dit, il les amène à comprendre que les composantes de la conjugaison sont en fait liées les unes aux autres et, ce faisant, il peut limiter le travail de mémorisation qu’ils doivent trop souvent effectuer en apprenant les verbes.

5. Tenir compte des langues du répertoire de l’élève en enseignant les verbes

Un contexte plurilingue se définit comme tel parce que, en son sein, plusieurs langues entrent inévitablement dans un rapport dialogique. Dans cette perspective, en didactique de la grammaire, certains chercheurs proposent d’amener les élèves à comparer le fonctionnement des langues qu’ils connaissent, et ce, afin d’en comprendre mieux les rouages et de développer une posture métalinguistique plurilingue (Candelier, 2016; De Pietro, 2006).

À cet effet, Maynard (2019) a récemment mis à l’essai un dispositif d’enseignement plurilingue auprès d’élèves québécois de première secondaire et elle en a documenté les effets sur l’apprentissage de l’orthographe grammaticale. Dans le cadre de ce dispositif, les élèves étaient notamment appelés à comparer des notions orthographiques dans plusieurs langues, en plus de vivre des activités dont l’efficacité est reconnue en didactique (p. ex., les dictées métacognitives). Eu égard aux résultats, la chercheure a noté que, au posttest, les élèves ayant vécu ce dispositif n’ont pas dépassé les élèves ayant vécu la version monolingue du même dispositif. Cela dit, au posttest différé, les élèves qui ont pris part à la mise à l’essai du dispositif plurilingue affichent des résultats qui, sur le plan statistique, sont significativement supérieurs en dictée à ceux des élèves n’y ayant pas pris part. Ces résultats nous laissent donc croire que de telles interventions axées sur la comparaison des langues sont particulièrement signifiantes en grammaire puisqu’elles favorisent la construction de connaissances qui résistent à l’épreuve du temps.

En somme, les quelques propositions didactiques qui sont faites ici devraient permettre à l’enseignant de rendre l’élève plus actif dans son apprentissage du système verbal français. En ne misant pas exclusivement sur la mémorisation de patrons de conjugaison, ce type d’enseignement peut aider l’élève plurilingue à développer la variété des connaissances qui sous-tendent l’utilisation des verbes en français et, donc, à s’engager efficacement et avec confiance dans des pratiques communicatives.

Références

Candelier, M. (2016). Activités métalinguistiques pour une didactique intégrée des langues. Le français aujourd’hui, 192(1), 107-116. Repéré à https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2016-1-page-107.htm

Chartrand, S.-G. (2015). Des outils didactiques pour amener les apprenants à penser la langue française comme un ensemble organisé de régularités. Enjeux, 89, 3-29. Repéré à https://www.enseignementdufrancais.fse.ulaval.ca/document/?no_document=2491

De Pietro, J.-F. (2006). Entre grammaire utile et ouverture à la diversité des langues, quelles perspectives pour des activités métalangagières à l’école? Langage et pratiques, 38, 7-23. Repéré à https://www.irdp.ch/data/secure/738/document/entre-grammaire-utile-et-ouverture-la-diversite-738.pdf

Germain, C. et Séguin, H. (1995). Le point sur la grammaire en didactique des langues. Anjou, Canada : CEC.

Maynard, C. (2019). Effets d’un dispositif plurilingue d’enseignement de l’orthographe grammaticale française sur les apprentissages d’élèves du secondaire en milieu pluriethnique et plurilingue (thèse de doctorat non publiée). Université de Montréal et Université Grenoble Alpes.

Meleuc, S. et Fauchart, N. (1999). Didactique de la conjugaison. Le verbe « autrement ». Paris, France : Bertrand-Lacoste.

Roy-Mercier, S. et Chartrand, S.-G. (2016). L’enseignement du système de la conjugaison pour en favoriser l’apprentissage. Dans S.-G. Chartrand (dir.), Mieux enseigner la grammaire. Pistes didactiques et activités pour la classe (p. 175-200). Montréal, Canada : ÉRPI.

Thibeault, J. (2020, janvier). Towards an inclusive grammar education in francophone schools. Communication présentée dans le cadre de la série des conférences du Plurilingual Lab de l’université McGill, Montréal, Canada. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=__ZxdVlwdbA

Thibeault, J., Fleuret, C. et Lefrançois, P. (2018). Développement de la compétence linguistique qui permet l’accord du verbe en nombre à l’écrit chez des élèves de l’élémentaire en contexte francophone minoritaire. Revue canadienne de linguistique appliquée, 21(2), 19-45. https://doi.org/10.7202/1057964ar

Thibeault, J. et Lefrançois, P. (2018). Exploration de l’évolution des types de commentaires métagraphiques relatifs à l’accord du verbe en nombre chez des élèves de la fin de l’élémentaire dans le sud-ouest de l’Ontario. Revue canadienne des langues vivantes, 74(4), 575-602. https://doi.org/10.3138/cmlr.2017-0038

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