Apprendre les langues, pas juste une question de talent (by Alexandra Lebeau)

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Alexandra Lebeau, our guest blogger for this week, is an M.A. student in the School of Education at Bishop’s University. Her research interests are in plurilingual and pluricultural competences, especially cross-language teaching and learning strategies. Working as a research assistant, she has had the privilege to connect with many immigrant students, and she hopes to further investigate how plurilingual strategies can support them in learning French. She is also interested in knowing how teachers’ attitude has a role to play in immigrant students’ social and cultural integration. For her B.A., she studied English, Japanese and Spanish, and is always looking for more language learning opportunities.

Est-ce que je suis la seule qui se considère comme une language geek? Vous savez, quelqu’un qui adore tous les aspects des langues (ou presque, moi ça dépend des langues!). Par exemple, qui a une faiblesse pour le chant des mots, un attrait pour la forme des lettres, un engouement pour les règles de grammaire, une lubie pour la poésie dans la structure des phrases et des textes, ou bien un intérêt pour les normes sociale dans les interactions? Bien que j’aie détesté l’apprentissage des langues durant aisément la moitié de ma vie, aujourd’hui je ne vois pas meilleure expression pour me décrire : je suis une language geek!

Quand j’ai commencé ma maitrise, on nous a bien dit qu’il n’était pas encouragé de sortir du curriculum du programme. Mais moi, je suis un peu têtue. J’ai décidé que je voulais continuer d’apprendre des langues, et à la première session j’ai pris un cours d’espagnol. Puis, l’automne passé, j’ai eu envie d’essayer quelque chose de nouveau. Mon professeur sera peut-être ennuyé d’apprendre que j’hésitais beaucoup entre le mandarin ou l’arabe, et que c’est l’annulation du cours d’arabe qui a tranché. Je suis tout de même très contente de la tournure des choses (et j’espère que lui aussi — 你好, 老师!).

J’ai donc entrepris d’apprendre le mandarin chinois, appelé en chine 普通话 (pǔtōnghuà) ou 汉语 (hànyǔ). Certains m’ont dit que c’était un choix étonnant, parce qu’on s’entend que ce n’est pas une langue que l’on entend beaucoup, ici, à Sherbrooke. Well, so is Japanese and Spanish and that didn’t stop me. Pour moi, l’apprentissage des langues est vraiment une passion. Oui, je les apprends en espérant pouvoir les utiliser, mais je n’ai pas d’expectations, en d’autres mots, je ne cherche pas à atteindre la fluidité naturelle d’un locuteur natif. Knowing languages is my way to make sense of the world. Il y en a qui ont une bucket list, moi j’ai une language list.

J’entends parfois que, pour dire qu’on parle une langue, il faut la maitriser aussi bien que notre ou nos langue(s) maternelles. Ce qui souvent créé des attentes très hautes chez les language learners. Or, le niveau de connaissance que l’on a dans différentes langues est toujours inégal (Coste, Moore, & Zarate, 2009). L’aisance que l’on a pour utiliser une langue dépend beaucoup de notre exposition à celle-ci et l’utilisation qu’on en fait.

Ça ne m’empêche pas de me sentir un peu guilty quand des personnes apprennent que je peux parler plusieurs langues et sont si impressionnée. Parce que je sais que, justement, je n’ai pas les mêmes capacités dans chacune de mes langues. Mon mandarin n’a rien d’impressionnant, pour l’instant. Néanmoins, peu importe son niveau langagier, une personne ne devrait pas s’empêcher d’apprécier toutes ses compétences plurilingues. Quand il est question de langue, chacun devrait pouvoir décider de ses buts à atteindre.

En fait, nos langues sont des ressources exceptionnelles qui attendent seulement qu’on leur donne l’occasion de briller. Alors que plusieurs curriculums favorisent encore la séparation des langues dans l’enseignement, de plus en plus de recherches montrent qu’il faut plutôt encourager les apprenants à utiliser leurs multiples connaissances langagières (Cummins, 2007). Une récente recherche de Sunny Lau, en collaboration avec des enseignantes du Cégep de Sherbrooke, a dévoilé que les étudiants se sentent davantage inclus dans la classe lorsque leurs enseignants considèrent leurs connaissances plurilingues et pluriculturels (Lau, et al., 2020).

D’ailleurs, comme Lau l’a observé, inviter les étudiants à faire des contrastes entre leurs langues les aide à développer leur metalinguistic awareness, ce qui vient souvent renforcer leur apprentissage de la target language, mais aussi de leurs propres langues (Lau et al., 2020). J’aime beaucoup comment Cummins (2007) l’explique. Il y a des aspects qui sont visiblement différents, comme l’écriture d’une langue à l’autre, mais il y a aussi des aptitudes, ou des façons d’apprendre si on veut, qui sont transférables entre les langues.

Lorsque j’apprends le mandarin, je ne mets pas ma language switch sur « mandarin ». Au contraire, j’utilise toutes mes ressources langagières (celles en surface et celles plus « meta ») pour développer des stratégies qui m’aident. Je vous donne quelques exemples :

  • Le mandarin utilise un système phonétique et tonique transcrit par le pinyin. Chaque mot comprend une « initiale » (comme des consonnes) et une « finale » (comme des voyelles), ainsi que les tons. Pour apprendre les prononciations, j’ai refait un tableau qui nous avait été fourni en utilisant les trucs mnémotechniques qui avaient du sens pour moi. Je sors ma feuille chaque fois que je dois lire à voix haute.
Tableau des « initiale » que l’on retrouve dans un mot mandarin
  • Lorsque nous avons commencé à apprendre les caractères chinois, au début les symboles ressemblaient beaucoup à ceux que j’ai appris en japonais, alors ça allait plutôt bien pour les reconnaitre. Mais bien vite, ils ont augmenté, parce qu’évidemment tous les mots s’écrivent avec des 汉字 (hànzi) et on ne peut pas dépendre que du pinyin. J’utilise donc un truc que j’ai appris en japonais avec les 漢字 (kanji – il y a une petite ressemblance non?). En fait, j’invente des histoires avec les images que je reconnais. Si vous avez lu ce blog post de Lau (March 24, 2019) vous savez un peu de quoi je parle (même si je suis loin de ce niveau, côté dessin).
  • J’ai remarqué que les phrases ont une structure similaire à l’anglais, mais il y a certainement des choses qui ne peuvent pas se traduire. Je pense que remarquer les différences, c’est aussi une bonne façon de comprendre. Le truc bien avec le mandarin, c’est que la structure est assez simple, on peut garder le même ordre et simplement remplacer les mots, puis dire quelque chose de différent.

Et ce que j’aime particulièrement, c’est que quand on te pose une question, souvent tu n’as qu’à remplacer le mot de la question par la réponse et tu es business. On a rapidement l’impression qu’on est très doué!

Page de notre recueil © David Tea
  • Le professeur a inclus dans son recueil (qu’il a fait lui-même et que je trouve 很好 hěnhǎo) beaucoup d’exercices qui nous demandent d’aller au-delà de la simple traduction. Par exemple, il faut faire des liens entres les mots (synonyme, antonyme, préfixe, suffixe, etc.), deviner le sens des mots à partir du contexte et/ou d’une image, trouver les erreurs dans des phrases et remplir des mind maps.
Page de notre recueil © David Tea
  • Pendant la session, et j’espère qu’on continuera, j’ai fait un échange linguistique avec une amie. On faisait 30 minutes de français puis 30 minutes de mandarin. Je pense qu’une bonne partie de ma motivation à apprendre le mandarin vient de la lumière dans son visage quand elle m’expliquait fièrement quelque chose à propos de sa langue et sa culture. Une langue, c’est avant tout des gens qui la parlent et une culture qui la définit. On ne peut pas l’apprendre sans l’un ou l’autre.

Ce ne sont que quelques exemples et chacun peut développer ses propres stratégies. Les personnes à qui je parle de ma passion pour les langues me disent souvent : « Oh! Tu dois être bonne pour apprendre les langues, pour moi c’est vraiment difficile » ou bien « Je suis trop vieux/vieille pour apprendre une langue, c’est plus facile quand on est jeune comme toi ». Ça me fait toujours sourire un peu. Je n’ai pas un talent inné pour les langues, loin de là. Je dirais même que je ne suis pas douée du tout. Je crois plutôt que c’est parce que j’ai, avec le temps, développé mes compétences métalinguistiques; je ne regarde plus les langues comme des entités séparées et enfermées dans des petites boîtes, mais plutôt comme un système interconnecté.

C’est sûr que le fait que ça soit une passion aide beaucoup, mais je crois fermement que s’ouvrir à de nouvelles langues, c’est quelque chose d’accessible à tous, car on a justement tous cet outil merveilleux qu’est notre première langue (ou encore mieux, plusieurs langues).
Ça… et la magie du temps et de la pratique!

References

Coste, D., Moore, D., & Zarate, G. (2009). Plurilingual and pluricultural competence. Strasbourg, France: Council of Europe. Original work published 1997.

Cummins, J. (2007). Rethinking monolingual instructional strategies in multilingual classrooms. Canadian Journal of Applied Linguistics, 10(2), 221−240.

Lau, S.M.C (2019, March 24). Translanguaging instinct: What does doodling have to do with language learning? BILD.

Lau, S.M.C, Brosseau, M.C., Maegerlein, E., LeRisbé, M., & Blandford, M. (2020). Supporting immigrant students’ academic and social integration: ESL and French college teachers’ collaboration in promoting cross-linguistic teaching of language and strategies. The Canadian Modern Language Review, 76(4), 293-310. doi: 10.3138/cmlr-2020-0001

Tea, David. (2020). Elementary Chinese Textbook.

One thought on “Apprendre les langues, pas juste une question de talent (by Alexandra Lebeau)

  1. Alexandra, j’adore tout ce que tu dis ! Je suis aussi une “language geek” et fière de l’être 😀 J’ai eu la même expérience avec les personnes qui me disent que je suis douée pour les langues. Des tels commentaires me félicitent et m’énervent en même temps car ils nient tout le travail que j’ai fait et les heures que j’ai passées à étudier et à utiliser mes langues. Merci d’avoir partagé tes pensées et tes expériences.
    – Heather

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